Il ne lui a pas même permis d'avoir une pensée d'impureté : Comment donc peut-il prendre plaisir aux représentations de l'impureté, et comment s'exposera-t-il à perdre toute pudeur dans ces Spectacles, pour pécher après avec plus d'audace ? En s'accoutumant à voir la représentation des crimes, il apprend à les commettre, ainsi l'on aime tellement tout ce qui est défendu, qu'on se remet devant les yeux, même ce que le temps avait couvert. […] Plus les Auteurs de ces infâmes représentations ont d'éloquence, mieux ils persuadent ceux qui les écoutent, par la politesse de leurs sentiments, et la justesse et la beauté de leurs vers fait qu'on les retient plus aisément.
Parmi cette foule de méchantes raisons, je m’arrête aux principales, car il serait impossible de les rapporter toutes, on allègue que la comédie ou tragédie est une peinture, et une représentation fidèle d’une action, ou plutôt de quelque événement dans sa substance et dans ses circonstances, et qu’elle n’est différente de la lecture de l’histoire, que nul ne s’avisera de soutenir être défendue, qu’en ce qu’elle représente d’une manière vive animée, et pour ainsi dire personnelle, ce que l’autre ne raconte que comme passé, et d’une manière morte et sans action. […] La représentation d’un amour pudique et de celui qui ne l’est pas produisent à peu prés le même effet et excitent un pareil mouvement, le voile d’honnêteté dont le premier est couvert en laisse considérer la peinture avec moins de précaution, et par conséquent plus de danger. […] Pour ceux contre qui les Saints Pères de l’Eglise ont tant déclamé, c’est qu’ils étaient pleins d’obscénités et de représentations honteuses, on a eu soin dans ce siècle d’en purger le théâtre ; la vertu la plus austère n’a rien qui la fasse rougir, ni dont ses oreilles puissent être offensées ? […] Quand vous aurez une fois goûté la suavité de cette manne céleste, loin de souhaiter de repaître vos sens de ces représentations pernicieuses qui vous avaient mis à deux doigts de votre ruine, vous vous écrierez avec le chantre RoyalPsal. 118.
Mais, diront-ils, vos représentations, qui ne touchent que les Rois, les Princes et les monarques, élevant tantôt un et déprimant tantôt l’autre, [ne] sont-elles point de mauvaise odeur au nez de leurs semblables qui les voient et entendent représenter ? […] [NDE] Les jésuites sont effectivement connus pour faire contribuer les parents de leurs élèves aux frais des représentations scolaires, on les accuse même de tarifer les rôles : les parents doivent payer davantage pour que leur fils ait un des premiers rôles. […] [NDE] Opposition entre les jésuites, qui flattent les princes, et le théâtre, qui présente aux princes des vérités amères mais que le plaisir de la représentation fait passer. […] [NDE] Comprendre : les magistrats permettent les représentations, mais dans les moments et les lieux appropriés, et sans introduire de confusion entre ce qui relève de l’utile (les affaires, la piété) et ce qui relève des distractions.
Augustin à la lecture de l’Enéide, sont des péchés et des folies, de pareilles larmes à la représentation de Didon sont-elles des vertus ? […] J’avais une passion démesurée pour les spectacles du théâtre, plein des images de mes misères, et des aliments du feu de ma concupiscence : « Spectacula theatrica plena imaginibus miseriarum mearum et fomitibus ignis mei. » D’où vient qu’on aime à sentir la douleur que cause la représentation de quelque chose de funeste et de tragique qu’on ne voudrait pas souffrir ? […] Faut-il s’étonner si j’aimais tant à verser des larmes à la représentation de ces malheurs étrangers et imaginaires ? […] En permettant de diffamer les Dieux par la représentation de leurs crimes, ils laissaient la liberté de diffamer les hommes : les hommes méritent-ils plus de respect que les Dieux ? […] Vous avez dégradé les Comédiens, éloignez ces Dieux qui se plaisent dans la représentation de leurs crimes, soit qu’ils soient véritables, ce qui est le comble de l’infamie, soit qu’ils soient faux, ce qui serait le comble de la calomnie.
Pierre Corneille, dans l’examen qu’il en fait, s’exprime en ces termes. « Les tendresses de l’amour humain y font un si agréable mélange avec la fermeté du divin que sa représentation a satisfait tout ensemble les dévots et les gens du monde etc. » On ne pense plus de même aujourd’hui : il y a des personnes qui sont choquées de ce mélange ; et je veux bien, pour un moment, me ranger de leur parti. […] J’ai conclu de toutes ces réflexions que la Tragédie d’Inès de Castro, envisagée dans le point de la passion d’amour telle qu’on la voit dans la représentation, ne peut donner que de bonnes leçons, et que par conséquent elle peut être conservée pour le Théâtre de la Réformation. […] Crébillon, j’étais d’une certaine façon prévenu contre elle ; on m’avait dit qu’elle était si atroce qu’on ne pouvait, sans frémir, en voir la représentation : après l’avoir lue, sans condamner tout à fait ceux qui m’en avaient fait ce portrait, je me sentis engagé à faire quelques réflexions sur la différence du goût des hommes dans les différents temps. Les Grecs ne pensaient pas comme nous, en fait de Théâtre ; l’horrible d’une action tragique ne les révoltait point ; et, si la représentation ne leur procurait pas un certain plaisir, l’instruction qu’ils en tiraient les en dédommageait et leur tenait lieu de tout. […] Quand les Auteurs se seront imposés la loi de punir la passion d’amour dans leurs Ouvrages, comme ils punissent toutes les autres passions, alors elle sera digne du Théâtre ; parce que la représentation en deviendra utile à la République : mais toutes les fois que la passion d’amour sera non seulement accompagnée de mollesse, mais encore récompensée, comme on ne le voit que trop souvent dans les Pièces de Théâtre ; alors on ne pourra en aucune manière la justifier, et je serai toujours le premier à la condamner.
Au profit d’une représentation ? […] La seconde représentation qu’on osa risquer, ne fut pas plus heureuse, quoiqu’il eût fait bien de corrections, ces malheurs lui sont communs avec plusieurs autres, même d’un plus grand nom que lui. Mais voici quelques particularités amusantes : la veille de la seconde représentation, il courut dans le public, & on afficha aux carrefours, un billet d’enterrement avec les vignettes ordinaires ; ossemens, larmes, têtes de morts, on y voyoit en gros caractère, vous êtes priez d’assister demain au service qui doit se faire pour feu Richard III, Roi d’Angleterre. […] Pendant la représentation, le poëte demeura modestement sur le théatre, pour recevoir l’encens des applaudissemens. […] Le poison n’avoit pas échapé à celui d’une auguste Princesse, qui dès la premiere représentation, en temoigna un grand mécontentement ; elle releva avec force, l’indécence ou plutôt le scandale, qu’il y avoit à travestir si indignement la Réligion, & à rendre en quelque sorte le Roi, la Famille Royale & toute la Cour, complices de cet attentat, en osant exposer sous leurs yeux une pareille piéce.