Il faut encore représenter aux très-pieux Empereurs qu'on ne doit point contraindre les Chrétiens d'assister aux Spectacles, ou d'en être les acteurs; car il ne faut persécuter personne, pour l'obliger de faire des choses qui sont contraires aux Commandements de Dieu; mais on doit laisser chacun dans la liberté qu'il a reçue de Dieu pour en user comme il faut; surtout on doit considérer le danger où sont ceux qui sont du corps de ces personnes qui sont chargées du soin des Jeux publics, qu'on contraint par la terreur des peines, de se trouver aux Spectacles contre les Commandements de Dieu. […] Nous défendons aux Peuples dans toutes les Villes de notre Empire les divertissements des Théâtres, et du Cirque le Dimanche, qui est le premier jour de la semaine, le jour de la Naissance de notre Sauveur Jésus-Christ, le jour de l'Epiphanie, les jours de Pasques, et de la Pentecôte, tant qu'on porte les habits blancs, qui par leur blancheur, comme par des rayons célestes figurent la nouvelle lumière qu'on reçoit au Baptême; Comme aussi les jours qu'on célèbre, avec grande raison la mémoire du martyre des Apôtres, qui sont les Maîtres de tous les Chrétiens; afin que les fidèles occupent tout leur cœur et tout leur esprit au service de Dieu, et que s'il y a encore des personnes qui suivent l'impiété des Juifs, ou l'erreur et la folie des Païens, ils reconnaissent que le temps des prières est bien différent du temps du divertissement, et des plaisirs, et afin que nul ne s'imagine qu'il est obligé d'assister aux Spectacles, ou de les représenter à notre honneur, par la vénération et le respect qu'il doit à la Majesté Impériale, sans avoir même égard au culte qu'on doit à Dieu, de peur de nous offenser en faisant paraître moins d'affection envers nous, qu'il n'avait accoutumé de faire; Nous voulons que tout le monde soit persuadé que le plus grand honneur que nous puissions recevoir des hommes, est que toute la terre rende à Dieu tout-puissant la soumission, et le service qui est dû à sa grandeur. […] Il faut aussi supplier les Empereurs, que si quelqu'un des Acteurs des Jeux publics veut recevoir la grâce du Christianisme, et sortir de cet état d'infamieb où il était, que personne ne le puisse obliger, ni contraindre de reprendre son premier métier. […] Que les personnes infâmes, tels que sont les Comédiens, ne soient point reçues à former des accusations. […] Que les Prédicateurs reprennent continuellement les plaisirs qui portent au péché, auxquels les personnes qui suivent le dérèglement d'une coutume dépravée se laissent emporter si facilement; que les Prédicateurs s'efforcent de rendre ces choses odieuses; qu'ils représentent au peuple combien est grande l'offense et l'injure que Dieu en reçoit; que c'est de là que viennent tant de maux; que c'est ce qui cause les calamités et les misères publiques, et une infinité de malheurs.
Je ne m’arrête point à quelques textes de l’Evangile, aussi mal choisis que faussement appliqués, par exemple, (p. 206 :) Celui qui croit & qui a reçu le Baptême sera sauvé , pourvû qu’il n’agisse pas contre sa foi, comme on le reproche avec raison, aux Suppôts de la Comedie : la foi ne suffit point sans les œuvres, ainsi que l’Apôtre S. […] C’est en usant du même pouvoir, selon le Pape Sirice4, que ce Docteur des Genrils disoit aux Galates : Si quelqu’un vous annonce un Evangile1 différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathême. […] Les Curés de Saint-Sulpice ont reçu ces libéralités pour en soulager les Pauvres de la Paroisse ; ils ont très-bien fait de toucher un argent mal acquis pour le faire passer entre les mains des maîtres légitimes. C’est aux Pauvres à qui tout gain honteux appartient de plein droit, c’est-à-dire, celui que l’on a reçu pour une cause illicite. […] Si néanmoins on s’étoit expliqué en leur faveur, & qu’on les ait declarés libres de toute censure, ils gagnent bien peu à ce privilége ; puisqu’ils sont en état de péché mortel, comme la Troupe Françoise, incapables d’être reçus à la participation des Sacremens, tandis qu’ils perséverent en une profession que j’ai fait voir criminelle de sa nature.
on ne règle pas après coup les mouvements du cœur sur les préceptes de la raison ; on n’attend pas les événements pour savoir quelle impression on doit recevoir des situations qui les amènent : car, si les poètes sont les maîtres des passions qu’ils traitent, ils ne le sont pas des passions qu’ils ont émues. […] Ils ont pu prescrire des bornes à la passion de leurs personnages, et pour cela ils n’ont eu besoin que d’un trait de plume ; mais ils n’ont pu en prescrire aux spectateurs, ni les empêcher de recevoir les impressions de l’amour, ni resserrer cette passion dans les bornes du devoir en la dirigeant vers un but honnête. […] On sort du spectacle le cœur si rempli de toutes les douceurs de l’amour, et l’esprit si persuadé de son innocence, qu’on est tout préparé à recevoir ses premières impressions, ou plutôt à chercher l’occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu’un, pour recevoir les mêmes plaisirs et les mêmes sacrifices que l’on a vus si bien représentés sur le théâtre. » C’est là qu’un chrétien vient apprendre à commettre des crimes qu’il a sous les yeux et qu’il est forcé de considérer avec complaisance. […] C’était des Pénélope que les spectacles ont changées en Hélène. » « On y contracte l’habitude des pensées fausses et libertines ; on y attise, on y reçoit les premières impressions de l’amour, ou on les augmente. […] le loup, le lion, les autres bêtes féroces, fuient le chasseur qui les a blessés ; l’homme, cet être raisonnable, poursuit celle dont il a reçu une blessure ; il chérit sa blessure, il cherche à en recevoir de plus dangereuses encore : circonstance la plus triste de toutes, et qui rend sa maladie incurable.
J’ajoute encore que, dans notre siècle, les amateurs de la Comédie ne s’exposent guère à recevoir des leçons que sur le Théâtre ; et que ce motif, fût-il seul, devrait suffire pour faire revivre la Comédie, s’il n’y en avait pas ; afin d’apprendre leurs vérités à des hommes qui, sans cela, les ignoreraient éternellement ; puisqu’il n’est que trop commun d’être aveugle sur ses propres défauts, pendant qu’on est si clairvoyant sur ceux des autres. […] n’y a parmi vous, leur dit-il, ni Poète, ni aucune autre personne assez zélée, pour vous reprocher avec affection, et pour mettre au jour vos défauts et ceux de toute la Ville ; s’il vous arrive, par bonheur, qu’il en paraisse quelqu’un, vous devez l’embrasser avec la plus grande amitié, et le recevoir avec autant de joie et de solemnité, que si vous célébriez un jour de fête…. » Peu après il ajoute : « Si quelqu’un prend l’extérieur de Philosophe, dans la vue du gain, ou par vaine gloire et non pas pour votre utilité, il ne mérite pas que vous le receviez ; on peut le comparer à un Médecin qui, visitant un grand nombre de malades, ne pense à rien moins qu’à les guérir, mais à leur distribuer des couronnes et des parfums, à leur mener des femmes de mauvaise vie, et par conséquent à irriter leurs maladies et à les rendre incurables. Il n’y a rien de plus rare, ni de plus difficile, que de trouver un homme, qui, de bonne foi et sans autre intention que de bien faire, dise librement la vérité ; et à qui l’amour de la gloire, ou de la fortune, ne soit pas capable de fermer la bouche ; qui s’expose courageusement à déplaire, à recevoir des affronts et à essuyer les mépris et souvent les insultes de la multitude ; et qui s’y détermine par affection pour ses Concitoyens et par zèle pour sa Patrie. » C’est ainsi que s’exprime Dion Chrysostome. […] Concluons donc, avec les Partisans du Théâtre, que, si on abolissait la Comédie, on ferait un grand tort à la République ; puisqu’il ne resterait plus de moyen d’inspirer de l’horreur pour le vice et de donner du goût pour la vertu à ce grand nombre d’hommes qui, comme nous l’avons déjà dit, ne vont guère à d’autre Ecole que le Théâtre, et qui, sans les leçons qu’ils y reçoivent, ignoreraient, toute leur vie, leurs défauts, loin de travailler à s’en corriger.
Le plaisir fait entrer insensiblement toutes les choses du monde dans notre esprit, et il n’y a rien de si mauvais qui ne soit fort bien reçu quand il est accompagné de ce poison agréable. […] Mais on me dira que ce plaisir est innocent, que si l’on y est satisfait, c’est de voir que la vertu triomphe de son Ennemi, et que la patience, après y avoir été exercée, reçoit la récompense qui lui est due ; que les plus nobles sentiments y sont toujours les mieux écoutés, et que les plus justes passions y sont toujours les mieux reçues. C’est de quoi je ne tombe pas d’accord, et pour produire la pièce qui a reçu le plus de louanges et qui a été l’admiration de toute la France ; N’est-il pas vrai que Chimène exprime mieux son amour que sa piété, que son inclination est plus éloquente que sa raison, qu’elle excuse mieux le parricide qu’elle ne le condamne, que sous ce désir de vengeance qu’elle découvre, on y remarque aisément une autre passion qui la retient, et qu’elle paraît incomparablement plus amoureuse qu’irritée ?
Faut-il être surpris si un Comédien, quoiqu’il ait quitté ce métier infâme, traité comme un énergumène qui serait délivré du Démon, ne peut encore recevoir les ordres, sans dispense ? […] Les Comédiens ne peuvent pas même être reçus parrains ni marraines, comme le prouve la morale de Grenoble (T. […] Il faut être en état de grâce pour le recevoir : y sont-ils ? […] On a si peu douté qu’ils dussent en être privés même à la mort, qu’on a au contraire douté s’ils pouvaient y être reçus lors même qu’ils se convertissaient. […] recevez votre ouvrage.