/ 284
40. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre VIII. Réfléxions sur le plaisir qu’on ressent à la représentation d’un Poème comique, & sur la douleur qui déchire l’ame des Spectateurs d’un Drame sérieux. » pp. 113-123

L’esprit a besoin de se délâsser quelquefois ; il ne peut pas s’occuper sans cesse de choses importantes & èxtrêmement relevées ; aussi voit-on le Philosophe & le Savant rire au Théâtre des mêmes traits qui éxcitent la bonne humeur du Peuple. […] Mais quelque raison que l’on puisse donner de l’intérêt qu’on prend aux Poèmes tragiques, le Philosophe s’étonnera toujours que l’on chérisse des Ouvrages qui nous remplissent de douleur, qui nous arrachent des cris & des larmes : car enfin il ne paraît pas naturel de trouver des délices à s’affliger.

41. (1759) Remarques sur le Discours qui a pour titre : De l’Imitation par rapport à la Tragédie « Remarques sur le discours qui a pour titre : De l’Imitation par rapport à la Tragédie. » pp. 350-387

Aristote l’a dit ; mais il y a longtemps que ses opinions ont perdu le caractere d’infaillibilité que les Philosophes & même des Théologiens leur avoient attribué. […] Quest-ce que la Tragédie selon ce Philosophe ? […] Juger de l’exacte observation des regles de l’Art, c’est le plaisir du Philosophe & du Connoisseur ; mais ce n’est pas celui du plus grand nombre des hommes : le Philosophe & le Connoisseur même, s’ils ont l’ame sensible, ne le goûtent que par réflexion, & leur plaisir direct est le même que celui du Peuple, je veux dire, le plaisir qui naît des mouvements excités dans leur ame par une action qu’ils veulent bien regarder pour un moment comme une action véritable. […] Enfin Aristote content de nous dire gravement que c’est le plaisir d’apprendre qui nous rend l’Imitation si agréable, sans remonter plus haut, & nous expliquer en grand Philosophe, quelle est la source de ce plaisir même que nous prenons à nous instruire, a laissé dans la Poëtique comme dans la Physique, non pas dequoi glanner seulement, mais dequoi moissonner après lui. […] Il commence à la faire, lorsqu’au plaisir d’apprendre, qui est le seul qu’Aristote ait touché, il joint celui de juger, que ce Philosophe n’a pas trouvé digne de son attention.

42. (1789) La liberté du théâtre pp. 1-45

Lorsque dans ses dernières années, affoibli par l’âge & par les chagrins, lassé d’une puissance arbitraire exercée pendant plus d’un demi-siècle, il traînoit les restes de sa vie entre son Confesseur Jésuite, & sa maîtresse Janséniste, il n’est pas probable qu’il eût pris plaisir à voir tourner en ridicule les charlatans de dévotion, & leurs cris auroient infailliblement étouffé, près du vieux Monarque, les réclamations du Philosophe. […] Voltaire, Poëte, Historien & Philosophe, étoit vraiment digne de créer, parmi nous, une Scène nationale. […] Elles demandent à être traitées avec cette liberté austère & impartiale, avec cette haine des abus, avec ce mépris des préjugés qui distingue un Poëte & un Historien Philosophe. […] En vous accordant (ce qui n’est point mon avis) qu’un Ecrivain Philosophe doit quelquefois dissimuler sa pensée par respect pour sa Nation, vous conviendrez du moins qu’il doit ce respect seulement à la génération qui existe, & qu’il ne doit que la vérité aux générations qui ne sont plus. […] Voyez dans ses pièces nationales, les Rois, les Princes, les Pairs du Royaume, les Prêtres, les Prélats de l’Eglise Romaine & ceux de l’Eglise Anglicane, introduite sur la scène, & pesés, pour ainsi dire, avec un esprit de liberté que le Philosophe David Hume est loin d’avoir égalé dans son histoire.

43. (1759) L.-H. Dancourt, arlequin de Berlin, à M. J.-J. Rousseau, citoyen de Genève « CHAPITRE IV. Apologie des Dames. » pp. 119-155

Ce n’est pas m’exposer à l’épithète de Papiste que de vous citer pour garant du mérite de quelqu’un un Pontife aussi éclairé, mais aussi pieux, aussi Philosophe, aussi connaisseur dans la partie des beaux-arts, et c’est sans doute confirmer la réputation d’une personne célèbre que d’apprendre au Public qu’elle a eu le docte, le sublime, l’ingénieux Lambertini pour juge et pour approbateur. […] C’est pour la gloire des Dames que je réclame le bon goût de Madame la Dauphine : quel moyen plus sûr de confondre l’orgueil de nos Philosophes du jour qui osent refuser du génie aux Dames ? […] Quel est le Philosophe enfin, qui n’admirera pas la profondeur du génie de la Marquise du Châtelet ? […] Je vous le passais comme un vice de terroir, j’accordais au Genevois ce que je nie au Philosophe. […] il faut être un Philosophe de leur espèce pour se rappeler le bon parti qu’on peut tirer des femmes.

44. (1666) Dissertation sur la condemnation des théâtres « Disseration sur la Condemnation, des Théâtres. — Chapitre II. Que la représentation des Comédies et Tragédies était un acte de Religion parmi les Grecs et Romains. » pp. 36-56

En quoi certes il ne faut pas dire que les Anciens se moquaient de ceux qu'ils adoraient comme Dieux, en représentant des actions que l'on pouvait nommer criminelles, comme des meurtres, des adultères et des vengeances, ni qu'ils avaient dessein d'en faire des objets de Jeux et de risée, en leur imputant des crimes que l'on condamnait parmi les hommes ; Car toutes ces choses étaient mystérieuses, et bien que le petit peuple, ignorant et grossier fut peut-être incapable de porter sa croyance au-delà des fables que l'on en en contait ; il est certain que leurs Théologiens, leurs Philosophes, et tous les gens d'esprit en avaient bien d'autres pensées, et tout ce que nous lisons maintenant de la naissance de leurs Dieux et de toutes leurs actions avait une intelligence mystique, ou dans les secrètes opérations de la Nature, ou dans les belles Maximes de la Morale, ou dans les merveilles incompréhensibles de la Divinité. […] Ce qui nous découvre que tout ce qui se faisait dans le Théâtre, et tout ce qui s'y disait touchant les faux Dieux, était des actes de révérence : Et cette considération a fait dire à un savant de notre temps, que les Païens ont eu trois Théologies, celle des Prêtres dans leurs Temples, celle des Philosophes dans les Écoles, et celle des Poètes sur les Théâtres.

45. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XVIII. Sentiment d’Aristote.  » pp. 66-68

Ce n’est pas qu’on y jouât alors comme parmi nous, les passions des jeunes gens : nous avons vu à quel rang on les reléguait ; mais c’est en général, que des pièces d’un si grand mouvement remuaient trop les passions, et qu’elles représentaient des meurtres, des vengeances, des trahisons, et d’autres grands crimes dont ce philosophe ne voulait pas que la jeunesse entendît seulement parler, bien loin de les voir si vivement représentés et comme réalisés sur le théâtre.

/ 284