Les Anciens étaient loin d’avoir une pareille idée ; les chœurs de leurs Pièces supposaient toujours qu’une foule de Peuple était présente. […] Il faut donc autant qu’il est possible, que les Spectateurs puissent réellement voir ce qu’on leur représente : l’illusion est en effet plus grande quand le lieu de la Scène est fixé dans un Carrefour, dans la campagne, à l’entrée d’un Palais, enfin par-tout où il est naturel qu’une foule de Peuple peut se trouver.
[Introduction] LA Démonomanie, c’est-à-dire, ce fatras immense des faits où l’on fait intervenir le Démon, ces histoires de Sabbat, ces Sorciers, ces Possessions, ces Revenans, &c. qui ont couru pendant plusieurs siecles parmi le peuple, & qui courent encore, quoique beaucoup moins, dont Delrio, Bordin, Michaëlis & bien d’autres ont rempli des volumes ; tout cela a différentes causes, & il ne faut pas confondre le fonds avec les circonstances. […] Tout cela peu conforme au goût régnant de la philosophie, qui se joue de tout, & qui tient à l’irréligion, fort innocent dans son principe, utile même à des peuples dont la piété pure & simple s’en nourrissoit avec fruit ; il l’est encore, pourvu qu’on en écarte tout ce qu’une imagination bisarre voudroit introduire de puérilités & de bouffonneries, comme elle avoit fait dans ces fameuses fêtes des Foux, justement abolies, qui n’étoient qu’un théatre ambulant dans les processions, adoptées dans les solemnités, scandaleusement transportées dans le sanctuaire. […] Le bas peuple les imita dans la campagne (ces déguisemens hideux sont faciles à imiter), & firent des fêtes, d’abord religieuses pour faire craindre l’enfer, mais qui dégénérerent en licence & toutes sortes de débauches.
Cette objection n’est que spécieuse : l’ivrogne du Peuple, boit du vin deux jours, & de l’eau les cinq autres : l’Ouvrier rangé, en prend chaque jour une petite mesure, & consume autant que le derèglé. Je trouverais bien un autre inconvénient dans ce goût des Spectacles devenu trop commun : c’est que les Grands dédaigneront peut-être de le partager avec le Peuple : alors plus de chef-d’œuvres à espérer dans le Dramatisme ; plus de grands Acteurs, dans le Mimisme ; la Comédie retournerait sur les tréteaux : car, qui voudrait écrire pour le peuple ?
A la voir ainsi fourrée partout, on croirait que le peuple ne veut rien autre chose. […] Accoutumé à avoir la fibre ébranlée par l’impression de tableaux épouvantables, le peuple renonce à la jouissance des impressions douces ; il ne veut plus que Clytemnestre meure derrière la toile. […] Le peuple ne s’épouvante pas pour si peu ; Hippolyte sanglant, la mourante Aricie, voilà ce qu’il voudrait voir. […] Ne dégoûtez plus le peuple des utiles impressions du vrai ou du vraisemblable.
Que ne laisse-t-on ce peuple dans son ignorance ? […] On l’a depuis bâti en grand, & décoré convenablement : c’est un spectacle en regle, pour l’instruction du peuple ; mais leur a-t-on donné des missions, des sermons ? […] Moyen de faire estimer la nation chez des peuples chez qui le metier de comédien, plus infâme & plus scandaleux qu’en France, s’il étoit possible, n’est exercé que par des femmes prostituées, qui, pour de l’argent, vont de maison en maison, se livrer au goût du public. […] Le peuple le désire, il faut le rendre magnifique & agréable, pour l’y attirer. […] Qu’il y a bien de choses permises, qui sentent le luxe, la magnificence de bâtimens, le nombre des domestiques, le théatre public ; parce que le peuple aime les spectacles.
J’aimerois mieux, disoit-il au Peuple d’Antioche, vous voir dans des cachots que de vous sçavoir au Cirque & au Théatre. […] Cyprien au peuple inébranlable dans l’Evangile. […] Je parleray au peuple d’une des plus grandes & des plus nobles Paroisses de l’Eglise de Paris. […] Les Pyrenées & les Alpes ne sont pas d’assez fortes barriéres, pour empêcher que les peuples qu’elles séparent, ne fassent des incursions les uns sur les autres. […] Ceux que Jesus-Christ a établis Pasteurs de son peuple, le scandalisent au lieu de l’instruire & de l’édifier.