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88. (1707) Lettres sur la comédie « Réponse à la Lettre de Monsieur Despreaux. » pp. 276-292

S’il était permis d’enchérir sur ce fameux Père de l’Eglise, je dirais que la douleur honnête qu’on prend dans les Tragédies, accoutume à une douleur vicieuse ; car Satan ne perd jamais ses droits. […] Vous m’allez demander peut-être qui l’a donc si fort ruiné : je ne crois pas que le Docteur Molière y ait perdu ses soins ; il a par ses belles leçons mis les maris sur un certain pied de commodité, qu’ils sont les premiers à faire les honneurs de leurs femmes, quand elles-mêmes n’ont pas la charité de leur en épargner le soin : voilà peut-être un des endroits où Molière a le mieux réussi, et sur lequel sa morale a fait le plus de progrès ; car je crois que c’est sur Molière que vous voulez faire tomber toutes ces belles œuvres que la Comédie a faites. […] Nicole avait pris le change sur la fureur de Camille, dans la Tragédie des Horaces : vous prétendez que cette furieuse, en faisant toutes ses imprécations contre son frère et contre son pays par le désespoir d’avoir perdu son amant, est capable de dégoûter les filles dont la tendresse pourrait passer les bornes ordinaires, et qu’elles se ménageront mieux sur une passion qui peut produire de si terribles effets.

89. (1666) Dissertation sur la condemnation des théâtres « Disseration sur la Condemnation, des Théâtres. — Chapitre IV. Que la représentation des Poèmes Dramatiques ne peut être défendue par la raison des anciens Pères de l'Eglise. » pp. 90-103

fit autrefois l'Empereur Constantin, après qu'il eut fait profession de la Religion Chrétienne ; il tira des Temples toutes les Idoles, et les exposa dans les places publiques, comme des objets d'opprobre, de mépris et de risée ; il en transporta même quelques-unes jusques dans son Palais, et par ce moyen étant arrachées des lieux où l'on avait accoutumé de leur immoler des Hécatombes, et de les voir avec des sentiments de Religion, et étant mises en d'autres endroits peu convenables à cette révérence, elles perdirent entièrement ce qu'elles avaient de vénérable à des aveugles, et restèrent aux yeux de tout le monde, comme des ouvrages dont toute l'estime dépendait des grâces et des beautés que la main des Artisans leur avait données. […] Il ne faut donc plus employer contre le Théâtre de notre temps ces grandes paroles de zèle et de foudre que les anciens Pères de l'Eglise ont autrefois prononcées, et l'on ne doit pas condamner un divertissement que les Papes et les Princes Chrétiens ont approuvé depuis qu'il a perdu les caractères de l'impiété qui le rendaient abominable.

90. (1698) Mandement de Monseigneur l’Illustrissime et Révérendissime Evêque d’Arras au sujet des Tragédies qui se représentent dans les Collèges de son Diocèse [25 septembre 1698] « Mandement  » pp. 37-43

Nous sommes persuadés néanmoins que l’on pourrait prendre pour y parvenir des voies non seulement plus utiles aux Enfants à qui on fait perdre un temps infini, et aux Maîtres qui n’en perdent pas moins, occupés pendant plusieurs mois de la composition, du récit et du succès de leur ouvrage ; mais aussi plus conformes à la Religion, qui a toujours marqué beaucoup d’horreur pour les spectacles sans y mettre de distinction.

91. (1671) Lettre d’un ecclésiastique à un de ses Amis « letter » pp. 472-482

La vanité qui occupe l’entendement obscurcit la vérité, et la chair se révolte contre l’espritLes apparences de beauté que l’on donne aux badineries font perdre la vue des choses célestes, et l’inconstance des désirs fait périr l’innocence de celui qui s’y abandonne. […] Depuis qu’une femme a perdu la pudeur, quelle a banni la modestie, qu’elle a mis sous ses pieds l’honneur de son sexe, c’est un serpent rempli de poison, qui met sa gloire et son étude à donner de l’amour et à en recevoir. […] Secondement, il suffit que ces divertissements soient périlleux, pour engager les Chrétiens de s’en détourner, et s’ils ne le sont pas pour tous, au moins ceux qui ont la conduite des autres, et dont on suit les exemples, ne sauraient se trouver à ces Spectacles, sans être cause de la ruine de plusieurs, et sans perdre pour eux-mêmes la charité chrétienne, suivant cette parole du S. […] XVIII, Migne, P.L., tome IX, col. 1018] b Rom. 14 [Paul, Epître aux Romains, chap. 14, verset 23] c « Quotquot receperunt eum dedit illis potestatem filios Dei fieri eis qui credunt in nomine ipsius », Joan. 1 [Evangile de Jean, chap. 1, verset 12d Les apparences de beauté que l’on donne aux badineries font perdre la vue des choses célestes, et l’inconstance des désirs fait périr l’innocence de celui qui s’y abandonne.

92. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quinzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre V. Du Faste. » pp. 154-183

La tentation de la parure n’est que la répétition de la tentation du serpent qui perdit la première femme dans le Paradis terrestre ; l’espérance de son embélissement, le fruit défendu est agréable à la vue, il est délicieux au goût : ses attraits sans doute sont dangereux, mais ce ne sont pas les plus puissans ; le démon ne les fit pas valoir, ce ne sont pas ceux qui perdirent Eve ; l’amour de la beauté fournit contre elle bien d’autres armes : vous serez comme des Dieux par l’étendue de vos lumières, vous connoîtrez le bien & le mal. […] Les Actrices sont de nouvelles Eve, que le serpent a séduite, seroit-ce même trop dire d’assurer qu’elles sont de nouveaux serpens qui perdent le genre humain. […] Vous courez au tombeau, vous y êtes, & au lieu de vous préparer à l’arrêt qui vous y condamne, vous nourrissez, vous souffrez, vous exhaltez dans les autres la volupté qui vous a perdu ! […] Faut-il rendre le poison plus violent pour perdre les ames ? […] Un fard en particulier n’est-il pas destiné à la faire perdre ?

93. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 7 « Réflexions sur le théâtre, vol 7 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SEPTIÈME. — CHAPITRE VI. Suite de la Danse. » pp. 140-167

Est-il possible à la foiblesse humaine de voir ce luxe, ces objets, ces mouvemens, cette multitude de personnes, sans perdre son innocence, ou se confirmer dans le crime ? […] Semblable encore, dit-il, à Esaü, qui vendit son droit d’aînesse pour une poignée de lentilles, on vend pour rien son Dieu, son éternité ; & comme lui doublement aveugle, & sur le prix de ce que l’on perd, & sur la vilité de ce qu’on reçoit, on n’est point touché, on s’applaudit même de sa folie : Parvipendens quòd primogenita vendidisset. […] Les assemblées de danse réunissent ces deux choses, elles écartent ce qui sauve, elles rassemblent ce qui perd. […] Après avoir vu tout ce qui se passoit dans cette assemblée, il fut saisi d’étonnement, & nous dit : Ces folies sont une invention du diable pour corrompre les mœurs & perdre les hommes. […] Cet exercice fût-il innocent, ne s’y mêlât-il pas des circonstances criminelles, ce qui est impossible, les excès qu’on y commet, le temps qu’on y perd, la peine qu’on y prend, l’argent qu’on y dépense, la passion avec laquelle on s’y livre, non-seulement sont des péchés, mais encore aux yeux de la raison des traits insensés & ridicules.

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