Aujourd’hui tout est renversé dans les spectacles qu’on nous offre ; si l’esprit paroît y gagner, le cœur à coup sûr y perd, ou plutôt le cœur & l’esprit y perdent. […] Les Directeurs de l’Opéra & les Comédiens François, fâchés de perdre cette semaine, se sont avisés de solliciter à la Cour la même faveur ; mais le Roi, loin de répondre favorablement à leur requête, vient de donner une nouvelle preuve de son zèle pour la Religion, & sur-tout dans ce saint temps, en interdisant, même aux Comédiens Italiens, toute représentation pendant ladite semaine.
Son ambition le perdit. […] Cela est injuste, puisque lui-même rapporte, peu d’années après, que le roi d’Angleterre perdit le sien, pour avoir voulu rétablir la Religion catholique. […] Le théatre fait un grand usage des portraits dans plusieurs drames : celui d’une maitresse donné, perdu, trouvé ; un amant déguisé en peintre, un peintre entremetteur, une farce, une intrigue, un dénouement usé, & fort peu réjouissant : mais ce ne sont que des incidens. […] Pilade & Batille firent un livre chez les romains qui s’est perdu. […] Castillon (ce qui m’étonne) paroissent y applaudir dans l’extrait qu’ils en donnent, Janvier 1774, comme pouvant donner à la nation une gaieté qu’elle semble perdre.
Tandis qu’il regnera des passions dans le monde, la scene aura des partisans trop intéressés à la maintenir, pour perdre son crédit.
Que le Poète ait donc grand soin de ne pas s’en écarter un instant, il courrait risque autrement de perdre le fruit de ses peines, & de voir tomber un Ouvrage qui lui aurait coûté beaucoup de tems & de travail. […] Il est inutile d’en dire davantage ; en continuant d’éxaminer cette Pièce si bisare, je craindrais à la fin de perdre le sang froid, la gravité nécessaire à l’Auteur d’un Ouvrage, tel que celui que j’offre au public.
Du temps que l’on perd à la Comedie, et aux autres spectacles de même nature. Les spectacles n’occupent pas autant de gens, et ne font pas perdre autant de temps, que le jeu, mais, quoi qu’il en soit, ils n’en consument que trop, et ils font d’ailleurs de fâcheux effets, qu’il est bon de marquer ici un peu distinctement.
Dans ces siecles grossiers, où le poids de l’ignorance commençoit à se faire sentir, où le besoin & l’avidité de sçavoir concouroient à rendre utile & respectable tout homme un peu plus instruit que les autres, si ceux-ci eussent été aussi sçavans qu’ils sembloient l’être, s’ils avoient eu toutes les qualités qu’ils faisoient briller avec tant de pompe, ils eussent passé pour des prodiges ; ils auroient été recherchés de tous ; chacun se seroit empressé pour les avoir, les posséder, les retenir chez soi ; & ceux qui n’auroient pu les fixer avec eux, les auroient plutôt suivis par toute la terre, que de perdre une occasion si rare de s’instruire & de devenir des Héros pareils à ceux qu’on leur faisoit admirer*. […] En effet, ôtez au plus brillant de ces tableaux le charme des vers & les ornemens étrangers qui l’embellissent ; dépouillez-le du coloris de la Poësie ou du style, & n’y laissez que le dessein, vous aurez peine à le reconnoître : ou, s’il est reconnoissable, il ne plaira plus ; semblable à ces enfans plutôt jolis que beaux, qui, parés de leur seule fleur de jeunesse, perdent avec elle toutes leurs graces, sans avoir rien perdu de leurs traits. […] Qu’un homme sage & courageux perde son fils, son ami, sa maitresse, enfin l’objet le plus cher à son cœur ; on ne le verra point s’abandonner à une douleur excessive & déraisonnable ; & si la foiblesse humaine ne lui permet pas de surmonter tout-à-fait son affliction, il la tempérera par la constance ; une juste honte lui fera renfermer en lui-même une partie de ses peines ; &, contraint de paroître aux yeux des hommes, il rougiroit de dire & faire en leur présence plusieurs choses qu’il dit & fait étant seul. […] J’en dis autant de l’amour, de la colère, & de toutes les autres passions, auxquelles devenant de jour en jour plus sensibles par amusement & par jeu, nous perdons toute force pour leur résister, quand elles nous assaillent tout de bon.