puisque le spectacle n’est qu’une critique de ce qui est mal, une censure des ridicules des hommes, qui vous autorise donc à en anathématiser les artistes ? […] « Les comédies, dit-il, en leur substance, ne sont nullement choses mauvaises, mais indifférentes… je dis donc, Philothée, qu’il est loisible d’ouïr d’honnêtes comédies, que ce n’est pas mal de le faire, mais oui bien de s’y affectionner. » (Introduction à la vie dévote, pag. 1re du chap. 23.)
Quels sentimens auraient eu des fidèles, les Païensm êmes, s’ils avaient vu qu’avec cette loi si pure, si sainte, si parfaite, qui condamne jusqu’à la pensée du mal, qui oblige de tendre sans cesse à la perfection, ces fidèles eussent eu besoin d’un commandement particulier, pour n’aller pas aux spectacles ? […] Ces faux Prophètes, qui s’étudient à ne dire jamais rien qui ne plaisent, et qui tâchent de se faire accroire à eux-mêmes que c’est l’esprit de Dieu qui les guide, seront-ils bien reçus à dire qu’ils ne pensaient pas qu’il y eût du mal d’assister quelquefois aux spectacles, quand le Seigneur leur demandera compte de tant de gens qui s’y seront perdus ?
Nous avons vu à Athenes Solon gémir des Spectacles introduits par Thespis : nous voyons à Rome, les graves Personnages gémir du même mal, & les Censeurs faire souvent abattre les Théâtres. […] Cecilius reçut froidement le Poëte qui étoit mal vétu, & comme il étoit à table, lui accorda avec peine un moment pour réciter quelques Vers. […] Ce Peuple, qui par une fierté mal fondée, avoit pendant plusieurs siécles, regardé comme de vils amusemens des Grecs, tous les Arts qui font honneur à l’Esprit, admira un Baladin, dont la science consistoit à tout imiter par ses gestes : un Acteur toujours muet à qui sa main servoit de langue.
Ceux qui se plaisent à ces livres, entrent insensiblement dans les sentiments des personnes dont ils lisent les aventures, et comme ils n’ont pas assez de force pour imiter leur vertu, tout le cœur se porte vers leur amour, le moindre mal qui en puisse arriver, est de se remplir l’esprit de toutes ces vaines idées de tendresse, qui nourrissent un esprit dans l’oisiveté, et qui ne tardent guère à gâter les mœurs. […] Ainsi le cœur s’accoutume insensiblement à l’amour : Une jeune fille souhaite de trouver un Amant aussi fidèle que celui qu’elle a vu sur le Théâtre ; elle trouve du plaisir à entretenir un commerce aussi tendre que celui-là ; elle voudrait être à la place d’une Amante si fort aimée ; elle ne trouve point qu’il y ait de mal à écouter un homme qui parle d’amour, puisqu’une Princesse si fière le souffre bien, et tout ce que la Morale Chrétienne lui avait persuadé de contraire à cela, s’évanouit bientôt dans son cœur par l’exemple qu’on lui propose sur le Théâtre. Est-ce là un petit mal, quand il serait vrai qu’on s’en tiendrait là ; mais souvent on va plus loin, et si une jeune fille qui est sous la conduite de sa mère, ne s’engage à rien de plus qu’à ce que je viens de dire ; jugez un peu ce que peuvent faire celles qui ont plus de liberté, et pour ne pas parler seulement d’elles, jugez de combien de désordres ces spectacles peuvent être cause en tant de jeunes gens à demi corrompus, principalement quand ces beaux sentiments d’Amour sont dans la bouche de personnes bien faites, et de la vertu desquelles on n’est pas trop persuadé. […] J’ai ouï dire qu’ils ne s’étaient pas plus mal trouvés des sujets Saints, et qu’ils avaient gagné plus d’argent au Polyeucte aa qu’à quelque autre Tragédie qu’ils aient représentée depuis. […] Cette passion a je ne sais quoi qui sied mal à un Héros du Christianisme, et ce serait sans doute un exemple trop dangereux pour les Spectateurs.
T es projets m’inquiètent, ma vertueuse amie : mais, quels qu’ils soient, le mal qu’ils doivent réparer est si grand, que je ne chercherais pas à les combattre… Oh !
Souvent sans invention, & toujours sans intérêt, ces espèces de Parades ne renferment qu’une fausse métaphysique, un jargon précieux, des caricatures ou de petites esquisses mal dessinées des mœurs & de ridicules ; quelquefois même on y voit règner une licence grossière ; les jeux de Thalie n’y sont plus animés par une critique fine & judicieuse ; ils sont deshonorés par les traits les plus odieux de la Satyre.