Et les Magistrats Chrétiens exhortés de ne les souffrir, d’autant que cela entretient la curiosité, et apporte de la dépense, et perte de temps. […] Les Blanquese aussi ne peuvent être approuvées, soit qu’elles se fassent par la permission du Magistrat, ou autrement : Et les Magistrats fidèles sont exhortés d’y tenir la main. […] « La Blanque qui sera autorisée par le Magistrat pour le soulagement des mineurs débiteurs et marchands, ne sera condamnée ; mais bien les autres qui ne sont de cette qualité, comme celles qu’on appelle Roues de Fortune, sont défendues. » Censure de ces trois Art.
Mais, dit-on, les Magistrats eux-mêmes, protecteurs par état et interprètes des lois, vont sans scrupule à la comédie ; ils ne les croient donc pas si sévères, et sans doute vous en outrez la rigueur. […] Les grands Magistrats donnaient des jeux au peuple : libéralité dont l’usage fit enfin une loi, et qui allait à des sommes immenses. […] Les Magistrats païens ne seraient pas un exemple bien décisif pour des Chrétiens dont la religion est si sainte. […] Par là, il désarma l’autorité des Magistrats, qui ne pouvaient toucher aux temples : objet dans toutes les religions réservé aux seuls Prêtres, et ce n’est peut-être pas une fausse conjecture de dire qu’en punition de cet ouvrage, qui ouvrant une source empoisonnée de toute sorte de débauche, acheva de corrompre les Romains, cet homme si puissant, si célèbre, si grand dans la république, qui en était le soutien et l’oracle, fut vaincu par César, et mourut misérablement en Egypte, où il allait chercher un asile. […] Lorsque les Italiens et les Anglais apprennent que nous flétrissons de la plus grande infamie un art dans lequel nous excellons, qu’on excommunie des personnes gagées par le Roi, que l’on condamne comme impie un spectacle représenté dans des couvents, qu’on déshonore des pièces où Louis XIV et Louis XV ont été acteurs, qu’on déclare œuvre du démon des pièces reçues par des Magistrats et représentées devant une Reine vertueuse, quand des étrangers apprennent cette insolence et ce manque de respect à l’autorité royale, cette barbarie gothique, qu’on ose nommer sévérité chrétienne, peuvent-ils concevoir que nos lois autorisent un art déclaré infâme, ou qu’on ose couvrir d’infamie un art autorisé par les lois, récompensé par les Souverains, cultivé par les plus grands hommes, et qu’on trouve chez le même Libraire l’impertinent libelle du Père le Brun à côté des ouvrages immortels de Corneille, Racine, Molière ?
Voici une troisième sorte de violateurs et de pécheurs publics auxquels Messieurs les Juges devraient s’opposer, parce qu’il y va de la gloire de Dieu, de l’honneur de l’Eglise, et du bien des fidèles ; et ne le faisant pas, ils participent à tous les crimes qu’ils commettent et font commettre ; ce sont les Comédiens, Tabarins, Bateleurs et Vagabonds, lesquels autorisés par Messieurs les Magistrats, perdent une infinité d’âmes par leurs sales représentations et discours impudiques. […] » C'est donc l’autorité des Magistrats qui concourt à ces grands maux, et à la perte des âmes, par la permission et le consentement qu’ils donnent à ces farceurs et bateleurs : c’est leur permettre d’arracher les âmes d’entre les mains de Dieu, pour les rendre les esclaves du diable. […] Mais pour faire voir que ce n’est qu’un prétexte de la part des Magistrats ; combien y a-t-il de Juges et autres Gens du Roi, qui ne les ont jamais voulu souffrir dans leur Ville, et qui n’ont pas pu voir qu’à la sortie de la Messe, des Vêpres, ou du Sermon, on trouvât un Théâtre dressé, comme un Autel pour le Diable, contre Jésus-Christ, pour détruire en une heure de temps tous les bons sentiments que les Prédications avaient fait naître dans les âmes pendant toute une semaine. […] Il ne faut donc qu’un peu de vrai Christianisme ; il ne faut qu’un peu de zèle pour son salut et pour celui des autres, afin de bannir ces ennemis de la vertu et de l’honnêteté : que Messieurs les Magistrats se donnent la peine d’entendre le Saint Esprit, qui leur parle et qui leur crie, « apprenez Juges, ouvrez, les oreilles, vous qui tenez sous votre autorité, les multitudes, et qui vous plaisez dans les pouvoirs que vous avez sur les Troupes, apprenez deux choses, la premières que toute votre puissance vient de Dieu, la seconde que ce même Dieu vous demandera compte de toutes vos œuvres, et fondera jusqu’à la moindre de vos pensées, par la raison que vous ayant établi les Ministres de son Royaume, vous n’avez point observé la Loi de la Justice ni marché selon sa volonté : ce qui fait qu’en peu de temps il vous apparaîtra d’une manière terrible, et vous fera demeurer d’accord que le jugement contre ceux qui président aux autres, sera effroyable » : Que répondra donc à Dieu le Juge qui aura contribué à la perte des âmes, par la permission injuste qu’il aura donnée à ces persécuteurs de la vertu ? […] N’est ce pas aussi pour cela, Messieurs les Magistrats, que le Saint Esprit vous dit par la bouche du Prophète, « jusqu’à quand jugerez-vous injustement, et aurez-vous égard à la personne des pécheurs ?
Cette flétrissure civile, que la loi seule a droit d’ordonner, et le Magistrat de prononcer, est quelquefois imposée par sentence, quelquefois encourue par la seule notoriété de fait. […] 9. en prennent occasion de se moquer des Magistrats païens. […] Le fils d’un Magistrat à qui son père destinait sa charge et avait donné la plus belle éducation, fréquenta le théâtre, et, à l’ordinaire, y devint un libertin. […] Mais toutes les lois défendent aux personnes en place, aux Magistrats, par exemple, d’épouser des personnes si méprisables. […] Tous les Magistrats purent donc chasser ou emprisonner les coupables, comme font parmi nous les Magistrats municipaux chargés de la police.
On a bien vu des pieces agréées par la troupe rejettées par les magistrats, pour leur indécence. […] Le magistrat au contraire a trouvé la piece très-décente, & l’a approuvée. […] On eût trouvé mauvais qu’un acteur comique eût fait les fonctions de magistrat, chargé de veiller sur les mœurs, & de punir les crimes. […] C’est au magistrat à poursuivre & à punir la corruption qui en est le principe. […] Ces considérations n’échapperont pas aux vues supérieures des Magistrats.
» Cette manière directe et courageuse de terrasser un lâche imposteur paraît aussi à cet homme sensible, qui a déjà donné plusieurs autres preuves de son amour du bonheur commun, la plus sûre pour éviter de compromettre, ou confondre avec de méprisables intrus, audacieux agents d’iniquités, les hommes les plus utiles et les plus chers à la société, des magistrats intègres, des administrateurs et chefs vertueux, justes et vénérables, sincères amis de leur prince, véritables soutiens du gouvernement, qui savent faire respecter les lois en les respectant eux-mêmes. […] Que nous importe, en effet, que nous sert ce plus précieux don de la liberté, le droit de vote et de suffrage, le droit de contribuer à l’élection de nos législateurs, de nos magistrats communs dont les rapports avec nos personnes, avec nos intérêts présents et sensibles, sont indirects ou éloignés, lorsque, d’un autre côté, on nous en donne de particuliers, sans forme protectrice, qu’il nous faut accepter bon gré mal gré, avec lesquels nous sommes continuellement en contact, qui sont si directement et à un tel point les maîtres de notre état, qui peuvent nous faire tant de mal impunément ! […] Les avantages ineffables du nouveau pacte social, nous ne pouvons que les entrevoir de loin, derrière nos magistrats arbitraires, comme un prisonnier aperçoit, à travers les barreaux de sa prison, quelque lueur du soleil, ou des traces d’une belle campagne qu’il ne peut parcourir.