Les paroles, les habits, le marcher, la voix, le chant, les regards des yeux, les mouvements du corps, le son des instrumens, les sujets mêmes & les intrigues des Comédies, tout y est plein de poison, tout y respire l’impureté.
Ajoutons que l’on apprend dans les Comédies mille mauvaises intrigues pour faire réussir ces mariages qui sont contre les Lois, soit pour gagner, ou pour tromper un père ; et que l’on y tourne toujours en ridicules ceux qui veulent corriger la jeunesse, et arrêter le cours de ses désordres.
Alors, les Magistrats de la Grece punissoient un auteur comme un empoisonneur public pour avoir seulement altéré le caractere d’un héros par une intrigue de passion ; alors on vit le plus célebre Auteur d’Athènes condamné par un jugement solemnel pour avoir mis sur la scene un personnage d’impie qui parloit avec trop peu de respect de la Religion. […] Or n’est-ce pas là l’intrigue de tout théâtre ? […] Et tout cela sur-tout mis en usage pour intéresser le spectateur à l’intrigue d’une passion, pour faire entrer dans l’ame du spectateur la folle passion du héros prétendu que l’on feint enflammé ; & tout cela mis sous les yeux, celui de tous les sens qui fait toujours les plus fortes impressions dans l’ame. […] L’intrigue n’est pour vous qu’un amusement ; vous regardez les rendez-vous les plus concertés comme un délassement d’esprit ; vous traitez la liberté, la licence des conversations de gaiété, de sel & d’enjouement aimable ; & tout ce que les saints Peres ont appellé voie du péché, occasion du péché, avant-coureur du péché, tout cela passe parmi vous pour politesse, belles manieres ; voilà votre innocence.
Leur but est (ou devrait être) la Satyre des mœurs, des usages ridicules ou des modes extravagantes : ils peuvent embrasser la Parodie, la critique des Drames de tous les genres, les intrigues populaires & bourgeoises, l’allégorie, la Pastorale, même le Comique-Larmoyant, & la Tragédie, si l’on voulait ; enfin célébrer les événemens du jour. […] Un Spectacle où l’on est médiocrement ému, mais où les sens sont agréablement affectés ; où l’esprit débarrassé du soin & privé du plaisir de suivre une intrigue, peut donner toute son attention à de jolis airs, quoiqu’adaptés à des paroles vides, dut & devra toujours plaire à la plus légère des Nations : telles sont les Comédies-Ariettes.
Apres cela on trouve encore des Mères qui y mènent leurs filles, et des Maris leurs Femmes, et qui osent se plaindre ensuite de leurs intrigues. Qu’ils se plaignent plutôt d’eux-mêmes : c’est la juste peine de les avoir menées dans ces Ecoles infâmes, où l’on va admirer toutes ces intrigues, et les apprendre en même temps. […] Sans l’addition de l’intrigue de Misaël à l’Histoire de Judith, cette Pièce aurait été désagréable ; c’est pourquoi Misaël paraît dans la plupart des Scènes, et quoique Judith ne consente pas à la proposition de mariage qu’il lui fait, cette Veuve serait coupable même selon le monde réglé, de l’écouter et de lui répondre après l’avoir remercié.
) Leur gloire étoit bornée à l’éloge de quelque amateur, & aux intrigues de quelque libertin. […] Un Etourdi, un Misantrope, un Avare, un Tartuffe, un faux Savant, un Médecin, un George Dandin, un Bourgeois Gentilhomme passent en revue, tiennent des discours, & font des actions qui les caractérisent, & donnent une idée de la piéce, dont ils sont le sujet ; ils ajoutent même des traits de la façon de l’auteur, souvent assez heureux, ce qui forme un spectacle assez varié ; comme le Facheux, la Femme d’intrigue, & tant d’autres drames à tiroir. Les personnages sont ordinairement épisodiques ; ici ils sont le fond de la piéce, & en forment l’intrigue. […] On ne croix lui dire rien d’intéressant, de lui apprendre le titre, l’intrigue, le succès, l’auteur, l’acteur, & c. de toutes ces miseres. […] Piqué de voir que les comédiens rejettoient opiniâtrement une piéce de sa composition, intitulée le Suborneur, parce qu’il y dévoile un peu trop les artifices des acteurs & des actrices, piéce qu’il avoit plusieurs fois retouchée ; il imagina d’appeller du tribunal des comédiens à celui du parterre, il porta sa cause, & la plaïda lui-même ; il monte sur un banc comme sur la tribune aux harangues, & demande audience à l’assemblée ; surpris de cette nouveauté, tout le monde se tourne vers lui, & l’écoute ; il enfile une nouvelle philipique, se plaint amérement de l’injustice des comédiens, & en particulier du sieur Preville, à qui il s’étoit adressé, qui avoit accepté la qualité de protecteur, & ne l’avoit pas plus ménagé que les autres ; ses larmes, son ton pathétique, la singularité de la scéne, le préjugé fort répandu, & trop juste contre la chambre ardente, dont les décisions dictées, par les présens, l’intrigue, les graces des actrices ont souvent excité des justes plaintes, intéresserent le grave Aréopage.