Aristote, dont le prodigieux sçavoir embrassa toutes les connaissances humaines, ne dédaigna pas d’instruire ceux qui voudraient marcher sur les traces de Sophocle & d’Aristophane ; l’ouvrage qu’il composa à ce sujet est aussi célébre que ses plus sublimes écrits. […] Ce vaste tableau frapperait agréablement par sa diversité : les partisans du Théâtre verraient tout d’un coup par combien de moyens on cherche à les amuser & à les instruire. […] Au-lieu de n’être instruit que des loix d’un seul Spectacle, on les apprendra toutes, en paraissant n’en étudier qu’une partie.
Ils prétendent que la Poësie de style fait seule la destinée des Poëmes pour deux raisons : la premiere, c’est qu’on n’y cherche pas l’instruction, comme dans les autres livres ; la seconde, c’est que le plaisir qu’on y cherche uniquement, naît aussi uniquement de la Poésie de style Ils ajoûtent que l’instruction qu’on peut par hasard, retirer d’une Piéce, n’est point la source du plaisir, parce qu’on commence à la lire, sans avoir intention de s’instruire. […] S’il n’y avoit que ceux qui voulussent s’instruire, qui lussent des livres, il y en auroit plus des trois quarts qui ne liroient point. […] Qu’on s’instruise dans les hautes Sciences, où dans les arts & dans la littérature ; c’est toujours s’instruire. […] Si nous voulions absolument instruire un homme épuisé par un travail long & pénible, ne choisirions-nous pas l’utilité la moins convenable à son état ? […] Ceux qui ont celui de s’instruire, le satisferont dans un ouvrage dogmatique, indépendamment de l’expression ; pour eux le fond emporte la forme.
Voyons maintenant ce qu’ont fait nos Poëtes comiques qui devoient travailler à corriger les Mœurs : ils se sont conformés au goût national, suivant l’usage de tout Auteur qui n’écrit pas pour instruire, mais pour se faire une réputation. […] En suivant la méthode dont je mesers, on trouvera de même, que les Femmes savantes, les Précieuses ridicules, & le Bourgeois Gentilhomme sont des Comédies, dont toute l’utilité consiste dans la peinture du ridicule, c’est-à-dire, qui divertissent beaucoup & instruisent peu. […] Moliere nous a bien fait voir dans cet ouvrage qu’il connoissoit le vrai but de la Comédie ; & s’il ne s’y est pas conformé dans toutes ses pieces, c’est qu’il a plutôt voulu plaire qu’instruire, ou peut-être, ce qui est plus vrai, c’est qu’il a appris par sa propre expérience qu’il y a quelques persécutions à essuyer, quand on tente sérieusement la réforme des Mœurs Il est d’autant plus admirable dans le Tartuffe, qu’il a su y joindre l’utile & l’agréable, & tirer l’un & l’autre du fond de son sujet. […] Ainsi une Comédie pour être utile aux Mœurs, doit nous peindre le vice d’après nature, sans le charger de ridicule ; & si elle veut amuser en même-temps qu’instruire, elle le peut faire en joignant au portrait du vice qu’elle attaque, le portrait de quelques défauts ridicules, pourvu qu’ils naissent naturellement du sujet, & qu’ils soient placés de maniere à mettre encore plus en évidence le vice dominant de la piece. […] Je puis donc conclure d’après ces réflexions, que nos Auteurs comiques en général se sont plutôt attachés à plaire qu’à instruire ; qu’ils ont plutôt tourné les vices en ridicule, qu’ils n’en ont inspiré de l’horreur, & par conséquent qu’ils n’ont point atteint le but que se propose la Comédie.
Mais avant de m’accuser, il faut t’instruire de la chose la plus extraordinaire. […] C’est à vous, Madame, que je m’adresse, pour instruire madame D’Alzan de mes dispositions, & pour être dédommagée du cœur que je perds, & dont, autant que personne, j’ai connu le prix : daignez quelquefois permettre que je vous voye en secret ; j’ai besoin de l’exemple d’une vertu telle que la vôtre pour me soutenir dans la route où je veux marcher le reste de ma vie ; d’un œil sévère, toujours ouvert sur moi, qui me fasse trembler à la seule pensée de m’égarer. […] Je sais que vous êtes instruite, Madame, de tout ce qui se passe ici : Madame D’Alzan m’a parlé de sa sœur, sans la nommer ; & d’ailleurs, je savais qu’elle ne fait rien, sans l’avoir consultée.
Le premier plaît sans instruire ; le second instruit sans plaire. […] Ajoûtez que la mesure, nous donnant successivement une dimension & puis l’autre, nous instruit lentement de la vérité des choses ; au lieu que l’apparence nous offre le tout à la fois, &, sous l’opinion d’une plus grande capacité d’esprit, flatte le sens en séduisant l’amour-propre. […] Souffrons qu’il nous enseigne tout cela, sans sçavoir s’il en est instruit. […] Dans ces siecles grossiers, où le poids de l’ignorance commençoit à se faire sentir, où le besoin & l’avidité de sçavoir concouroient à rendre utile & respectable tout homme un peu plus instruit que les autres, si ceux-ci eussent été aussi sçavans qu’ils sembloient l’être, s’ils avoient eu toutes les qualités qu’ils faisoient briller avec tant de pompe, ils eussent passé pour des prodiges ; ils auroient été recherchés de tous ; chacun se seroit empressé pour les avoir, les posséder, les retenir chez soi ; & ceux qui n’auroient pu les fixer avec eux, les auroient plutôt suivis par toute la terre, que de perdre une occasion si rare de s’instruire & de devenir des Héros pareils à ceux qu’on leur faisoit admirer*. […] J’en conviens : mais le Philosophe ne se donne pas pour sçavoir la vérité, il la cherche ; il examine, il discute, il étend nos vues, il nous instruit même en se trompant ; il propose ses doutes pour des doutes, ses conjectures pour des conjectures, & n’affirme que ce qu’il sçait.
« Quant à ceux qui fréquentent les Comédies, comme il y en a de moins coupables les uns que les autres, & peut-être quelques-uns qu’il faut plutôt instruire que blâmer, ils ne sont pas répréhensibles en même dégré, & il ne faut pas fulminer également contre tous : mais de-là il ne s’ensuit pas qu’il faille autoriser les périls publics. Si les hommes ne les apperçoivent pas, c’est aux Prêtres à les instruire, & non pas à les flatter.