C’est que chacun dit en soi-même, Je ne ressemble point à cet homme-là, je suis plus excellent que lui. […] Mais si ce même homme est raillé sur ce défaut, non-seulement il n’en conviendra plus, mais il cherchera à perdre son impertinent Censeur ; d’où je conclus que la raillerie ne fait qu’humilier sans rendre meilleur, ou ce qui revient au même, qu’elle peut bien engager les hommes à déguiser leurs défauts, mais non pas à les abandonner. La Comédie qui cherche à corriger les hommes, ne doit donc point employer la raillerie, comme un moyen propre à parvenir à ce but. […] Le but de la Comédie est de rendre les hommes meilleurs. […] Marmontel, la Comédie bornée à jouer de petits ridicules, c’est-à-dire de petits riens, qui quand ils disparoîtroient ne rendroient pas les hommes meilleurs.
J’admirais ce prodigieux aveuglement dans des personnes d’ailleurs si éclairées, et je le regardais comme un triste exemple de la vanité de l’homme, lequel pour se faire un nom dans le monde pour se donner la réputation d’homme d’esprit, s’applique à des choses qu’il n’est permis ni de voir, ni de lire, au moins selon les Pères auxquels je m’en rapporte, et auxquels je crois que nous sommes obligés de nous en rapporter. […] Il est donc constamment vrai que nous n’aimons les grandes pièces qui nous représentent ces vertus Romaines (c’est-à-dire l’orgueil, la vengeance, l’ambition, l’amour, jusques, où l’imagination la plus outrée et la plus forcée les peut pousser) Car on s’abuse bien si on croit que les Romains étaient tels qu’on nous les dépeint sur les theatres : c’étaient des hommes, et les hommes naturellement ne pensent point tout ce qu’on leur fait dire. […] Ce sont proprement des empoisonnements publics, qui tuent non seulement les hommes de leur siècle, mais de tous les siècles qui viendront après eux. […] Oui on s’empresse de donner des louanges aux plus fins empoisonneurs des âmes, pendant que l’on condamne aux plus rigoureux supplices un homme pour avoir ôté la vie du corps à un autre par le poison. […] Un homme comme moi n’est point assez habile pour donner des règles à Messieurs les Confesseurs ; mais il me semble qu’on ne saurait assurer l’état de la conscience d’un homme qui s’est employé à ces compositions, s’il ne fait quelque chose de public et d’éclatant, pour marquer qu’il se repend d’avoir travaillé à ces ouvrages, et que s’il les avait entre ses mains, il les supprimerait.
Les hommes ont des passions ; cela est certain. […] Un homme qui tente un grand crime n’est pas regardé comme un grand homme, ou bien il faudroit chercher un autre terme pour désigner un homme qui forme une entreprise grande & juste. […] Un homme à soixante-dix ans, n’a pas quelquefois une raison de deux jours. […] L’estime publique est la plus noble récompense des hommes à talens supérieurs. […] Est-il donc infâme d’être exposé aux jugemens des hommes ?
Quant à l’homme sans passions, expliquons-nous. Entendez-vous par un homme sans passions, un homme insensible à tout ce qui peut flatter l’imagination ou les sens, un homme dans une Apathie perpétuelle, incapable de sentir et de désirer ? […] Si par un homme sans passions, vous entendez un sage incapable d’aucun excès, dont tous les désirs sont subordonnés à la raison, ce n’est pas un homme sans passions. […] Tel est l’homme qu’on doit mettre sur la scène, vous l’y verrez tous les jours quand vous voudrez l’y voir, et cet homme à mon avis est plus estimable qu’un homme sans passions. […] Il faut espérer que quelque nouveau Molière achèvera l’ouvrage de ce grand homme.
L’acharnement des hommes au Théâtre, dit encore Saint Augustin, est une maladie de leur esprit. […] On prêche aux hommes la vertu en pure perte : mais le vice n’a pas besoin de Prédicateur, il est lui-même son Evangéliste, s’il m’est permis de parler ainsi. […] Ils conviennent ces hommes illustres que la manne délicieuse de l’Evangile ne fructifie guère entre leurs mains par l’endurcissement de certains Auditeurs. […] J’aurais bien besoin de mon Saint Augustin pour me tirer du piège que vous me tendez, les Saints sont d’une grande ressource, quand on dispute avec un homme tel que vous. […] Il est le premier à convenir qu’Homère est excellent dans ses inventions fabuleuses, et qu’il charme l’esprit par ses agréables rêveries : mais il se déchaîne aussi contre le torrent de la coutume, qui porte à lire des choses si chatouilleuses pour les bonnes mœurs ; jusques là qu’il fait honneur au Christianisme qu’un Auteur nourri dans ces sciences profanes, et dans la Religion du Paganisme, que Cicéron, en un mot, eût reproché à Homère qu’il faisait des Dieux des hommes, et qu’il érigeait les hommes en Dieux : au lieu, dit-il, qu’il aurait dû rendre les hommes semblables aux Dieux, plutôt que d’abaisser la divinité à la condition des hommes.
Il est un homme qui m’arrache ces réflexions. […] Tel est l’homme dont je parle. […] La fatale affectation de mépriser les hommes. […] Que ne doit-on pas attendre d’un homme qui aima. […] Un homme comme vous ne fait point de Roman.