Fort de la pureté de mes intentions et de la certitude que mon opinion nouvelle, en cas d’erreur, et du reproche imminent d’avoir négligé ce précepte : Sumite materiam vestris qui scribitis æquam viribus , ne peut causer aucun mal, et pourrait encore, au contraire, donner quelques indications neuves et faire naître des idées utiles à d’autres écrivains plus exercés, qui considéreraient ce sujet sous de nouveaux points de vue ; j’aurai le courage d’écrire, de soumettre à la discussion la plus solennelle, et au jugement des hommes les mieux éclairés ce que je crois avoir remarqué de plus, en continuant de chercher de bonne foi, et sans d’autre passion que celle du bonheur commun, comment il s’est fait que, malgré toutes nos lumières et nos belles institutions, malgré nos immenses bibliothèques renfermant tant de plans et de systèmes, ou de bons livres destinés à nous améliorer, comme ceux qui paraissent encore tous les jours sous toutes les formes ; et malgré les exemples, les efforts successifs et continuels des orateurs les plus éloquents et les plus vertueux, et des sages les plus instruits, les plus persuasifs, secondés par les plus vigoureuses satires et censures ou critiques vivantes de nos personnes, de nos défauts et de nos vices, nous soyons toujours tombés en effet de plus en plus dans le relâchement, et soyons arrivés sitôt au degré de cette effrayante dissolution de mœurs dont un parti accuse aujourd’hui avec si peu de discernement ces moyens mêmes de réformation. […] faites-vous quelqu’affaire, un marché, un contrat, une société quelconque, sans craindre d’être trompés, sans l’être en effet fort souvent, et sans être forcés de plaider même avec ceux qui se disaient vos amis, que vous avez obligés ? […] C’est d’après ces documents certains, dont le principal est le fait incontestable que l’irréligion et l’immoralité ont commencé à croître et s’étendre plus sensiblement chez nous, comme chez les autres, à dater de l’époque des plus fortes des leçons satiriques données en leur faveur, sous la forme dramatique ; c’est d’après ces documents, dis-je, qui, abstraction faite de tout ce qui a été dit pour et contre sur cette question, m’ont mis à portée de comparer les temps, d’apprécier moi-même les causes qui ont agi sur les mœurs aux différentes époques, par le rapprochement des effets, que j’ose avancer et entreprendre de prouver à mon tour et à ma manière, sans prétendre le faire mieux que mes prédécesseurs, mais, pour appuyer leur jugement, que l’amalgame ou le concours irrégulier de la joyeuse et attirante instruction théâtrale avec le sérieux, l’austère et premier mode d’instruction et de réformation, a été funeste à celui-ci ; qu’il l’a d’abord fait négliger et ensuite étouffé ou paralysé presque entièrement en le suppléant fort mal, en le remplaçant comme un étourdi spirituel et malin remplacerait un patriarche grave et prudent.
Il n'y a point de voix capable de le faire, ni de corps assez fort pour souffrir cette violence. […] Un Moderne en a fait une autre aussi grossière, et qui ne peut trouver d'Apologie, bien qu'elle soit dans une Apologie du Théâtre ; Il veut prouver que les Acteurs de l'ancien Théâtre étaient honnêtes gens, et que leur vie n'était point licencieuse comme on se l'imagine ; et sans distinguer les Jeux Scéniques des représentations du Poème Dramatique, ni les Mimes des Acteurs de la Comédie et Tragédie, il dit sur les paroles du grand Pline très mal entendues, que Luceïa et Galéria, donc il fait par une insigne bévue deux excellentes Comédiennes, s'étaient trouvées capables de monter sur le Théâtre ; la première durant cent ans, et l'autre à la cent quatrième année de son âge qu'elle y fut remise comme une merveille ; et posant pour maxime indubitable que la voix ne se peut jamais conserver dans la débauche, il conclut que ces prétendues Comédiennes, ayant conservé la leur si longtemps, avaient été fort honnêtes femmes, et ensuite que toutes les autres leur ressemblaient. […] Et Juvénal condamnant la passion que les Romains avaient pour les Histrions Grecs, explique fort clairement que les hommes seuls jouaient les personnages des femmes, en disant qu'on était ravi de voir un Comédien représenter la Courtisane Thaïs, une honnête femme ou une Nymphe, et en jouer si bien le personnage qu'on l'eût pris pour une femme, et non pas pour un homme déguisé. […] Unde sit Embolaria mulier, id est Scenica. » nues avec des postures indécentes, et que le moindre sentiment de pudeur ne pouvait souffrir ; il ne faut que lire le grand Pline, qui lui donne cette qualité en termes exprès ; et Galéria était un Embolaire ou Bouffonne, c'est-à-dire du nombre de ces femmes Scéniques, qui venaient sur le Théâtre dans les intervalles des Actes, sauter et danser en bouffonnant, ce qu'on nommait Embola ou Intermèdes ; et si cet Apologiste eût pris la peine de lire les termes de Pline, ou qu'il en eût cherché la signification dans son Calepin, ou qu'il eût seulement jeté les yeux sur le commentaire, il n'aurait pas fait cette faute ; et bien loin de croire ces femmes fort honnêtes, comme il se l'est imaginé, il doit savoir qu'elles étaient l'opprobre du Théâtre, prostituées et louées à prix d'argent pour ce honteux exercice.
Ce Savant me rappelle un passage du profond Aristote, qui vient ici fort à propos, & qui allait m’échapper. […] J’ai connu des Acteurs fort embarrassés sur le choix d’un pronom dans cet endroit. […] Donnons-en des éxemples, Voilà qui est écrit fort à l’aise : « Doute cruel… quoi, douter ? […] Ce sont des Femmes, des Musiciens, ou des petits Maîtres qui les chantent partout : or le goût de cette partie de la Société n’est pas fort difficile : il cesse donc d’être surprenant que des Ariettes mal écrites fassent le principal ornement des Tables, des Concerts, & de nos Spectacles. […] Ne voilà-t-il pas un fort joli compliment ?
Ces autorités sont ici d’un grand poids, quoique par des raisons fort différentes : Le Marquis d’Argens, qui ne fut jamais soupçonné de superstition (Lett. […] « Coutume abominable, dit-il, défendue par la loi de Dieu, que l’Université avait quelque temps souffert, je ne sais pourquoi, et qu’on a sagement interdite. » Sur quoi il cite un fort habile et pieux Professeur, qui témoigna en mourant un regret extrême d’avoir suivi cette coutume, qu’il savait avoir été pour plusieurs écoliers une occasion dé dérangement. […] Tout cela n’est pas vraisemblable, il est sans doute fort exagéré. […] Il flatte peu la vanité ridicule d’un Régent ou d’un Religieux qui court après les applaudissements du public par des traits si peu dignes de lui, arbitrio popularis auræ, en les bornant à quelques Savants, nation peu nombreuse et fort sérieuse. […] Bertier, le Varron de notre siècle, a donné un fort bon extrait (Avril 1753.).
Mais les choses ont tellement changé de face, et se sont si fort perverties, que c’est présentement une espèce de paradoxe de dire, qu’on ne peut aller à la Comédie sans blesser sa conscience et sans offenser Dieu. […] Il a paru dans Paris depuis quelques mois une Lettre ; où l’on entreprend de justifier la Comédie, qui est un divertissement fort au goût des gens du monde, et de la faire passer pour une chose bonne, honnête et permise.
Ce coup de théatre a interrompu la scène & dénoué l’intrigue très-brusquement, d’une maniere inattendue & fort peu amusante. […] Les peintres sont-ils plus privilégiés, sont-ils plus forts, sont-ils moins sensibles que les autres ? […] Ce prince, parmi une foule de courtisannes qu’il entretenoit dans son palais, en entretenoit une fort belle appellée Campargue. […] Cet héroïsmes est fort commun au théatre ; tous les jours un amant qui connoît l’infidélité d’une actrice, la quitte & en prend une autre. […] Mais la danse, qui ne connoît pas plus la dignité des rangs que la décence des mœurs, fait jouer à ce grand prince un rôle fort indigne de lui.