On sçait jusqu’à quel point ces Tournois, qui d’abord ne paroissoient qu’un Exercice Militaire, devinrent par la suite dangereux, & il est innombrable combien de Noblesse y a succombé. […] J’ose remarquer en passant, que si les Théologiens de France, qui voyoient les Princes & le Peuple si amoureux de cet Exercice, eussent représenté dans les Conciles la nécessité de le régler plutôt que de le condamner en général, & que la sévérité des Conciles n’eût tombé que sur ce que l’on appelloit les Combats à outrage & à fer émoulu, ces Jeux, sans doute, n’auroient pas eu des effets ni des suites aussi funestes. […] Quoique cet état soit pénible, par toutes les études qu’il exige, l’exercice n’en est pas journalier.
Mais les amusemens indifférens par eux-mêmes, exercices du corps, chasse ou péche, tours d’adresse, jeux d’esprit, promenades, conversations gaies, tout cela devient bon ou mauvais, selon l’intention qu’on y porte, l’usage qu’on en fait, les circonstances qui les accompagnent. […] Ce dévot exercice ne sera jamais présenté au jugement de Dieu pour embellir leur couronne éternelle. […] Il ne permet que les exercices du corps, les jeux des échecs, du billard, du palet, de la paume : encore défend-il aux Ecclésiastiques de les jouer devant des laïques, pour ne pas s’exposer à les scandaliser.
Les Pères de l’Eglise, qui supposent que les Séculiers, sont suffisamment occupés durant toute la semaine, chacun dans les exercices particuliers de sa vacation, se sont toujours contentés dans les Conciles de leur défendre seulement d’aller à la Comédie aux saints jours des Dimanches et des fêtes.
C’est en suivant ces principes et en prenant ces précautions que l’on écrit et que l’on représente tous les ans dans les Collèges des Poèmes dramatiques ; et, loin de croire que ces Pièces soient capables de corrompre les mœurs des jeunes gens qui les jouent, ou de gâter l’esprit des Spectateurs, je pense, au contraire, que c’est un exercice honnête, dont les uns et les autres peuvent retirer une véritable utilité.
Lorsque le Théâtre s’introduisit en France, il y a près de quatre cents ans, à l’occasion d’une troupe de Pèlerins, qui s’occupaient à réciter les Actes de la Passion de Jésus-Christ ou de quelque Martyr célèbre, il y avait lieu de douter si cet exercice ne serait pas avantageux. […] » Je ne pense pas qu’on voulût nier que la Comédie soit un exercice profane, et qu’elle ne soit ainsi renfermée sous ces termes : Profana quæque scurrilia scilicet, etc. ... […] Comme si on y faisait un aveu, que le Théâtre ne peut subsister sans galanterie, on crée un personnage, un Misaël amoureux de Judith, un jaloux follement transporté, pour ne la quitter jamais, et pour lui faire tenir le langage des amants sans religion, se prosterner aux pieds de Judith372, l’appeler beauté immortelle, faire cent réflexions sur ses appâts, et ne parler que de mouvements jaloux qui l’agitent sans cesse 373, c’est son caractère et l’exercice qu’on lui donne. […] On peut bien dire que l’irrévérence est beaucoup plus grande dans les pécheurs, qui se disant Chrétiens, se moquent néanmoins des décrets de l’Eglise, jusqu’à faire gloire d’un exercice que l’Eglise se croit obligée de punir par l’excommunication, et c’est proprement à de telles personnes à qui on doit appliquer ce que dit saint Isidore de Damiète dans la Lettre 232 Bibl.
La vertu n’est point faite pour être parée ; la richesse & son éclat sont sa simplicité, & ce n’est absolument que dans l’exercice qu’elle paroît & qu’elle frappe. […] Or, voyons nous souvent dans le monde la vertu en exercice ? […] On ne voit point la vertu dans l’exercice sans admiration, & on ne se met point dans sa situation, sans plaisir. […] On voit que le Jeu est un exercice frivole ; la Lecture une étude souvent pesante, toujours infructueuse ; le Commerce un cours de propos froids, jamais instructifs, & rarement intéressans ; la Promenade une exercice souvent machinal & toujours vuide ; le Vin plein d’abus & d’inconvéniens : y a-t-il dans tout cela le moindre attrait pour un homme qui pense ? […] Dans la société, faute d’exercice, communément il s’endurcit : un homme est livré à ses affaires, une femme à son ménage, le jeune homme à son étude, la jeune fille à son ouvrage, l’âge mûr à ses projets, l’âge avancé à ses réflexions.