I. cap. 33 ci , quelle fureur est ceci, non pas erreur, que vous cherchez des Théâtres, y entrez, les remplissez, faisant choses plus folles qu’auparavant ; pendant que les peuples d’Orient, plaignent votre ruine, pendant que de grandes villes, en pays lointains, en mènent deuil public ? […] puisque en ces choses, on ne propose autre but, que le plaisir, et la volupté, ne suffit-il pas à Satan, d’entrer en nos cœurs, par cette fausse porte ? […] Cependant j’accorde volontiers à nos contredisants, que les passages, que nous produisons des Pères, qui ont écrit devant qu’il y eut des Empereurs Chrétiens, ne parlent que des Comédies et Tragédies, que jouaient les Païens ; car les Chrétiens étaient bien guéris de cette folie, lors que leurs martyres servaient de spectacles, et de Tragédies aux Tyrans : La persécution cessée en l’Eglise, la corruption y entra ; et de celle, dont nous parlons, demeura quelque reste du Paganisme ; tantôt toléré, tantôt réprimé ; selon que les Princes affectionnaient, ou négligeaient la Réformation, non seulement en cette partie, mais aussi pour le regard des Jeux sanglants des gladiateurs, des factions du Cirque, voir des Bordeaux, dont il restait encore sous Théodose le grand, une extrême turpitude à RomeNiceph. li. 12.c. 22 ct , d’autant plus détestable que c’était sous ombre de justice ; laquelle cet Empereur abolit. […] eg , et allègue les raisons, pourquoi il n’est loisible aux Chrétiens de s’y trouver ; à savoir ; parce que ce sont appartenances de l’idolâtrie ; parce qu’il s’y commet plusieurs maux, plusieurs péchés s’y engendrent, et le nom de Dieu est blasphémé ; parce que le Diable y règne, dont il récite l’histoire d’une femme, qui étant allée au Théâtre, pour y voir des jeux, s’en revient possédée d’un malin esprit, lequel étant adjuré et interrogé, pourquoi il était entré au corps d’une personne fidèle ; répondit, qu’il avait justement fait, l’ayant trouvée sur le sieneh. […] Sur quoi il se moque plaisamment des Romains, qui tenaient pour service de leurs Dieux, les Comédiens, et détestaient tant les Comédiens, au lieu de les honorer comme Prêtres, et principaux serviteurs des Dieux : Mais je crois qu’il eût pleuré amèrement, aussi bien que son Commentateur VivesLib. 8. cap. 27 ey (lequel quoique de l’Eglise Romaine, déteste l’impiété des Prêtres, qui aujourd’hui permettent de jouer l’histoire de la passion de notre Seigneur) s’il eût prévu, que la même corruption dût entrer en l’Eglise, en la Cité de Dieu, où il s’en voit plus, qu’il n’y en eut jamais entre les Païens.
S’ils sont entrés dans un semblable détail, c’est qu’ils l’on cru nécessaire ; & c’est avec raison.
Je n’approuve pas ceux qui vont à l’Eglise à l’heure où ils sçavent qu’ils y trouveront les personnes qui sont pour eux une pierre de scandale : combien plus doit-on condamner la fréquentation des Spectacles, où l’assemblée est bien plus brillante que dans aucune Eglise, où l’on voit ce qu’il y a de plus libre & de plus vain dans la Capitale du Royaume ; grand nombre de personnes qui n’entrent jamais dans aucune Eglise, parce qu’elles vivent sans Religion : dans quelles dispositions de cœur ces sortes de personnes vont-elles se placer dans les Loges ? […] On se replie sur l’exemple des personnes vertueuses ; si elles le sont en effet, ce n’est pas en tout point : il faut louer leur probité, leurs aumônes, sans toutefois approuver en elles la fréquentation des Spectacles, Tertulien rapporte en cette occasion le trait du Roi Prophéte : lorsque vous appercevez un Voleur1 vous vous empressez de le suivre : imitez les bons exemples des gens de bien, & détournez les yeux de dessus leurs foiblesses ; car, selon l’Ecriture2, on ne doit point entrer dans la foule de ceux qui font le mal, ni marcher sur leurs traces. […] Les Flots du Jourdain se retirent pareillement pour lui donner passage, lorsqu’il veut entrer en la terre promise ; le Fleuve remonte vers sa source : la Puissance divine qui repousse les eaux, les fait sortir à gros bouillons du milieu d’un Rocher, pour étancher la soif des Israelites ; on voit une pierre dure parmi les sables brûlans de l’Arabie, que les rosées du Ciel n’arrosent jamais, vomir tout-à-coup une Riviere miraculeuse.
Les Peuples modernes loin de les imiter, font entrer dans leurs Pièces le plus d’intrigue qu’il leur est possible. […] Le Poète s’applaudit sur tout des coups de Théâtre qu’il s’éfforce de faire entrer dans un Drame, comme si le mérite de l’action Théâtrale était de n’attâcher qu’un instant, & de ne causer qu’une surprise momentanée. […] Avant d’entrer dans les règles que je vais établir, voyons d’abord de quelle nature est l’intrigue des Drames qu’on joue actuellement au Spectacle moderne.
Chez eux d’abord, les Spectacles étoient des divertissemens champêtres, où l’on faisoit entrer le culte des Dieux, & sur-tout de Bacchus, qu’on y célébroit dans le tems des vendanges, comme le Protecteur & le Dieu des raisins. […] Les grandes idées nous affectent avant toutes choses ; nous en avons une preuve dans nos jeunes Poétes ; à peine savent-ils le méchanisme des vers, qu’ils entrent hardiment dans la carriere tragique.
Le public qu’ils devoient avoir uniquement en vûe, n’y entra que pour l’argent qu’il y apportoit.