Comme les pères chassent de leurs maisons et de leurs tables leurs enfants qui se laissent emporter à la débauche, non pour les en bannir éternellement ; mais pour les faire devenir meilleurs par cette correction ; les Pasteurs en usent de même, lorsqu’ils séparent les brebis galeuses d’avec les autres, afin qu’étant guéries de leurs maladies, elles retournent avec celles qui sont saines sans aucun péril : car autrement, s’ils les laissaient parmi les autres, elles infecteraient tout le troupeau.
Si dès à présent on établit dans un grand Etat un Bureau pour diriger les spectacles vers les mœurs désirables de la société, si par les prix qu’elle distribuera aux Poètes qui plairont le plus et qui dirigeront le mieux leurs ouvrages vers la bonne morale, il arrivera avant trente ans que les pères et les mères les plus sages mèneront leurs enfants à la Comédie comme au meilleur Sermon, pour leur inspirer des sentiments raisonnables et vertueux, il arrivera que dans toutes les villes, de trente mille habitants il y aura aux dépens du public des théâtres et des Comédiens, afin qu’avec peu de dépense les habitants médiocrement riches puissent assister au spectacle, et l’on verra ainsi le plaisir contribuer au bon gouvernement, ce qui est le sublime de la politique ; car qu’y a-t-il de plus estimable que de mener les hommes par le chemin des plaisirs innocents et actuels, à une diminution de peines, et même à d’autres plaisirs futurs, la nation se polirait de plus en plus jusques parmi le peuple, les sentiments de vertu entreraient avec le plaisir dans les cœurs des Citoyens, et par le perfectionnement de nos mœurs, la société deviendrait tous les jours plus douce, plus tranquille et plus heureuse, et c’est le but que je m’étais proposé dans ce Mémoire.
Polieucte & le Cid, Phedre & Athalie, Mahomet & l’Enfant Prodigue, &c. ne sont-ils pas sortis de la même plume ? […] Ses comédies sont un tissu de sarcasmes : c’étoit un digne enfant de la scène qui n’épargne personne. […] Aussi, encore enfant, se levoit-il à minuit pour étudier, & se faisoit conduire au collége au flambeau : il y trouvoit tout endormi ; on en éveilloit les régens pour le contenter ; ils admiroient son amour pour l’étude.
Plein de cette créature, et devenu son esclave, vous trouvez votre femme insupportable, vos enfants, vos domestiques, tout vous déplaît. […] Oui, Messieurs, la plupart des Comédies sont illicites et nuisibles, parce qu’on y tourne perpétuellement en ridicule les parents qui tâchent d’empêcher les engagements amoureux et téméraires de leurs enfants. […] Sulpice, où l’on met les enfants morts sans Baptême. […] Les petits enfants affectionnent, et s’échauffent après les Papillons, nul ne le trouve mauvais, parce qu’ils sont enfants. […] Est-ce la coutume que des pères de famille envoient leurs enfants en de mauvais lieux pour y entendre quelque malheureuse qui gémit de son état déplorable ?
S’il se trouvoit un enfant dans des lieux de libertinage, les hommes les plus licencieux vouloient qu’on le transportât dans une place où son innocence fût assurée2. […] Mais que dans l’essor de la première jeunesse, dans la crise du développement des qualités qui font le Chrétien et le citoyen, un enfant soit arraché à ses foyers paternels pour passer sous la puissance d’une troupe errante, pour faire avec le sacrifice de sa patrie celui de ses mœurs et de son honneur ; c’est un vol réel fait à l’Etat, c’est un crime de lèse-société humaine, aussi odieux en lui-même, qu’effrayant pour la contagion de l’exemple… Si dans une république où l’esprit d’intérêt étouffe les sentimens de la nature, où l’on vend et achète les hommes comme les ballots de toiles d’Inde, où la valeur n’est comptée pour rien, où le plus actif guerrier est moins considéré que le banquier le plus indolent, la législation ne s’occupe point d’un abus de cette espèce, c’est dans la nature même de son gouvernement et dans le génie de ses peuples, qu’elle trouvera les raisons de son indifférence.
C’est en effet une grande merveille qu’une femme ait un enfant naturel ! […] C’est le seul enfant qu’on lui connoisse : car, quoiqu’il ait vécu avec les femmes plus qu’avec les soldats, & qu’il fût l’homme le plus propre à la population, il étoit trop épuisé, trop aguerri, trop usé pour être pere.