Je veux pour un instant que le Théâtre ait quelque chose de nuisible ; il suffit qu’il empêche un plus grand mal, pour qu’on doive l’estimer. […] Quel motif empêcherait qu’on accueillît avec joie un genre nouveau de plaisir & d’amusement ?
Empêcher qu’il n’y entre désormais des pièces dangereuses, n’est qu’une demi-mesure ; il est de la même importance de faire un choix judicieux de celles qui y sont admises et qui peuvent être représentées sans danger, et de rejeter les autres. […] Il serait bon de contenir aussi dans des bornes plus resserrées les donneurs indiscrets de leçons de précaution, qui vont chercher dans les espaces imaginaires des subtilités, des manœuvres, des vices, des perfidies, des crimes sans noms, sans exemples, ou très-rares, inconnus à la multitude, pour avertir tout le monde dramatiquement qu’il ne faut pas les commettre, ou s’en laisser atteindre ; ce qui n’empêche pas, ou plutôt, ce qui fait, comme je l’ai dit, que les méchants en profitent pour désoler les bons par des moyens nouveaux que les uns n’auraient jamais trouvés, et dont les autres n’auraient jamais eu rien à craindre sans cette fatale précaution. […] En effet, Molière a attaqué en général les faux dévots, ou les prêtres auxquels il a fait le plus grand mal généralement ; ce qui n’a pas empêché qu’on ne fit de sa satire une application particulière : M. de Rochette, évêque d’Autun, a été désigné comme en étant l’objet ; il en a souffert toutes les rigueurs, comme si elle eût été dirigée ouvertement contre lui, et cela sans recours, sans pouvoir repousser l’agression, ni s’en plaindre ou se justifier. […] Depuis qu’il existe des théâtres, les criticomanes ont harcelé les procureurs au point que cette dénomination était si avilie et devenue si odieuse qu’on a cru devoir la changer et y substituer celle d’avoué, pour tâcher de faire entendre qu’il y avait eu à leur égard régénération ou épuration ; que les nouveaux ne ressemblaient pas aux anciens, qui étaient désavoués ; ils étaient effectivement traités de fripons, de voleurs tous indistinctement, et cela, je le dis pour la centième fois, parce qu’on les jouait indistinctement, de cette manière vague et indéterminée qui atteint les bons comme les méchants ; les probes qu’elle empêché de faire le bien, comme les fripons qu’elle n’empêche pas de faire le mal, qui se cachent même plus adroitement derrière les autres, se perdent dans la foule où ils se montrent moins affectés des traits de la satire que les plus délicats.
Comme elle a scandalisé toutes les personnes de piété, beaucoup de Prédicateurs n’ont pu s’empêcher de témoigner publiquement leur indignation contre une entreprise si téméraire et si préjudiciable aux bonnes mœurs.
Ainsi l’on n’a pas cru que la modestie de l’Auteur dût en empêcher l’impression.
Saint Paul aussi a tout compris dans ces paroles : « Au reste, mes frères, tout ce qui est véritable, tout ce qui est juste, tout ce qui est saint (selon le grec, tout ce qui est chaste, tout ce qui est pur), tout ce qui est aimable, tout ce qui est édifiant ; s’il y a quelques vertus parmi les hommes, et quelque chose digne de louange dans la discipline, c’est ce que vous devez penser14 » : tout ce qui vous empêche d’y penser, et qui vous inspire des pensées contraires, ne doit point vous plaire, et doit vous être suspect.
« Nous ne trouvons pas étrange, dites-vous,q que vous damniez les Poètes, ce qui nous surprend, c’est que vous voulez empêcher les hommes de les honorer. » C’est-à-dire que ce misérable honneur que vous cherchez parmi les hommes, vous est plus précieux que votre salut, vous ne trouvez pas étrange qu’on vous damne, et vous ne pouvez souffrir qu’on ne vous estime pas. […] Vous ne sauriez voir sans rire un homme véritablement Chrétien, véritablement humble, et qui a cette véritable science qui n’enfle point et qui n’empêchait pas l’Apôtre de travailler aux ouvrages des mains et de prêcher l’Evangilew. […] Aussi n’empêcherez-vous jamais par de telles suppositions qu’il ne soit véritable que tous les Religieux ont toujours été bien reçus à Port-Royal, et l’on n’a que trop de témoins de la charité et de la générosité avec laquelle on y a reçu les Jésuites mêmes, dans un temps où il semblait qu’ils n’y étaient venus que pour voir les marques funestes des maux qu’ils y ont faits, et pour insulter à l’affliction de ces pauvres filles. […] Ce qui nous surprend, c’est de voir que vous voulez empêcher les hommes de les honorer.