Ce qui a fait dire à saint Augustin, que c’était un crime véritable de faire son divertissement de la fiction des crimes.
La chaussure de Judith ne gagna-t-elle pas le cœur d’Holopherne, et ne fut-elle pas la cause de son crime et de sa mort « Sandalia ejus rapuerunt oculos Holophernis, pulchritudo ejus captivam fecit animam, amputavit pugione cervicem ejus. » Judith cap. 16 [Judith, chap. 16, verset 11 : « ses sandales ont ébloui les yeux d’Holopherne, sa beauté a captivé son âme, et elle lui a tranché le cou avec son poignard »] ? […] On tombe dans le même crime que les Enfants d’Israël, lorsqu’ils adorèrent le Veau d’or, et on met en pièces les deux Tables du Décalogue : On brise la première, qui regarde l’Amour et le culte de Dieu, lorsqu’on partage son cœur, qu’il veut tout entier, entre lui et ces divertissements ; encore avec cette injustice, que l’on leur en donne la meilleure part : Qu’on dresse deux Autels au-dedans de soi-même, où l’on offre plus de sacrifices et avec plus d’affection au Prince usurpateur du monde, qu’à celui qui l’a créé, et à qui en appartient la souveraineté ; Se donnant à peine le loisir d’entendre une basse Messe aux jours où elle est d’obligation, et consacrant le reste à ce cruel Tyran. […] Tertullien ne s’est pas contenté dans son Apologétique, de repousser le reproche que l’on faisait aux Chrétiens de fuir les Spectacles, comme un crime qui méritait d’être sévèrement puni, en soutenant qu’il n’y en avait point, et qu’il n’y avait aucun sujet de les en reprendre, puisqu’en cela ils usaient de leur liberté, sans offenser ni le public, ni le particulier : Ce Docteur en a fait un Livre tout entier. […] Dans le 17. il appelle le Théâtre le consistoire de l’impudicité ; et les Tragédies et les Comédies les mères des crimes et des passions dérèglées. […] : Que celui-là renonce aux jeux et aux spectacles du siècle, qui désire obtenir de Dieu une rémission parfaite de ses crimes.
Il n’est point de crime qu’on ne puisse commettre, & d’indécence qu’on ne puisse faire impunément sous le masque. […] Denis-le-Petit, Yves-de-Chartres, Burchard de Vormes, qui rapportent ce Canon, ajoutent que les femmes ne prennent l’habit d’homme que parce qu’étant plus dégagé & moins embarrassant, elles peuvent plus facilement se livrer au crime. […] On ne peut regarder comme purement cérémoniaire, & sujette au changement, une loi conçue en ces termes ; on ne parle pas autrement des plus grands crimes. […] Pour ôter l’occasion du crime, dit Guillaume de Paris, de Legib. temp. […] C’est même une occasion d’une infinité de mauvaise pensées que l’habit d’un sexe différent dont on est couvert, qui semble peindre le crime & l’offrir : Refricat memoriam, commovet imaginationem.
On croyoit, dit-il, avec raison que le refus de la confession étoit une barriere de plus contre le crime, & il se moque de Pierre de Craon, qui dans le repentir de ses crimes avoit peur de mourir sans confession. […] Quel excès de barbarie & d’impiété de lui refuser le secours que Dieu lui offre pour faire une sainte mort, & obtenir le pardon de ses crimes ! […] caressoit au fond du cœur toutes les passions cruelles : il étoit de la nature de son ame de produire des crimes, comme une plante venimeuse produit le poison. […] Un Clerc, quelque crime qu’il eût commis, n’étoit jamais condamné qu’à des peines canoniques, aucune puissance n’avoit droit sur sa vie. Il est pourtant certain que dans les grands crimes l’Eglise dégrade les Clercs & les livre au bras séculier qui les condamne à mort.
Si sa vertu ne doit pas être entièrement exempte de faiblesse, il ne faut pas aussi que ce soit un scélérat insigne ; les Grecs qui aimaient à voir la scène ensanglantée, représentaient souvent sur leur Théâtre, des hommes fort vicieux, ou du moins qui avaient commis de grands crimes : Œdipe, Oreste, Alcméon, Médée, Thyeste étaient de ce caractère ; ainsi le spectateur était toujours dans la terreur et dans l’effroi ; mais la pitié est incomparablement plus douce, et plus conforme à l’humanité : Ainsi dans le choix que le Poète fait de ses Héros, il ne doit point en introduire sur la scène, qui soit coupable de quelque crime énorme. […] Puisque la Tragédie est une instruction pour porter les hommes à la vertu, et pour les détourner des vices ; la règle générale est que la vertu soit récompensée, et le crime puni. […] Quelque méchant que soit un homme, il ne laisse pas d’avoir des sentiments vertueux qui le retiennent, et qui le font balancer au moment qu’il délibère de commettre un crime. Il faut que le Poète exprime, et fasse sentir ces incertitudes, pour faire comprendre aux spectateurs, que la raison condamne ces crimes, et que ce sont des effets de la nature corrompue. […] Les Lois civiles ne punissent que les crimes qui sont contraires à la société humaine ; les faux témoignages, les vols, les assassinats, les blasphèmes, les impiétés publiques, et d’autres crimes scandaleux : Si l’on permet de certaines choses, qui sont visiblement mauvaises, c’est pour empêcher que les hommes ne s’abandonnent à de plus grands dérèglements ; mais la complaisance des Magistrats ne dispense pas de la Loi de Dieu, qui condamne tout ce qui porte au péché : Or il est visible que la Comédie, et ce qui l’accompagne, augmente la corruption de la nature, rend l’homme plus sensuel, et le porte insensiblement à l’oubli de Dieu.
Car il prétend qu’elle est pire que le blasphème, le larcin, l’homicide et les autres crimes. La différence qu’il y met ; c’est, dit-il, que ces crimes souillent à la vérité ceux qui les commettent ; mais ils ne souillent pas, et ne rendent pas criminels ceux qui les voient commettre, ni ceux qui en entendent seulement faire le récit. Ainsi l’on ne participe pas au crime d’un blasphémateur quand on a horreur de l’entendre blasphémer. Il en est de même du larcin, de l’homicide, et de tous les autres grands crimes. […] Cet Auteur met encore cette différence entre les autres crimes et la Comédie ; que les premiers n’attaquent chacun qu’un de nos sens à la fois ; les pensées déshonnêtes par exemple ne souillent que l’esprit ; les regards impudiques ne se commettent que par les yeux ; les mauvaises paroles ne sont reçues que par les oreilles ; et lorsque l’un de ces sens est souillé et corrompu par le crime qui lui est propre, les autres en sont cependant exempts.