Cet homme célèbre, plein d’esprit & de politesse, qui écrivoit avec tant d’agrément & de légèreté les moindres bagatelles & les choses les plus sérieuses, qui a vécu trois ou quatre vies différentes, pour ainsi dire, homme, femme, abymé dans l’étude, livré au théatre, estimable par un courage apostolique, qui l’a conduit au bout du monde, méprisable par une coquetterie d’Actrice, toujours gouverné par le plaisir, se faisant aimer de tout le monde ; cette espèce de phénomène dans la société ne dissimule pas ses défauts. […] Il joua un tour à un Archevêque ; il l’invita à dîner, & ensuite le conduisit, sans l’en avertir, dans une salle où étoit le théatre & des Comédiens tout prêts, qui avoient le mot. […] C’étoit une extravagance de femme, comme si on eût fait conduire un char, ou jouer à la lutte & au ceste, &c. […] Dans cet état on court les rues, on va au spectacle, on monte à cheval, on prend des leçons à l’Académie, on conduit un cabriolet, &c. […] Le masque dénature tout, & facilite tout ; il en ôte la honte, l’embellit & y conduit.
Je ne vous dirai point ici, mes Frères, que vous privez les pauvres de leur substance, lorsque vous dépensez pour les Spectacles ; que vous perdez un temps dont toutes les minutes sont le prix même du sang de Jésus-Christ, et des moyens de salut ; que vous entraînez par votre exemple, des personnes qui se font peut-être un devoir de vous imiter ; et que, quand même les Spectacles ne vous feraient nulle impression, vous répondez devant le Seigneur du mal qu’ils peuvent causer à ceux qui vous suivent, ou que vous y conduisez. […] parce que vous êtes tellement corrompus que rien n’est plus capable de vous pervertir ; parce que vous êtes tellement familiarisés avec le crime, que rien ne peut plus vous séduire ; parce que vous êtes rassasiés de ses infâmes voluptés dont l’habitude conduit à l’endurcissement ; parce que le péché qui règne en vous, vous rend insensibles aux plus terribles vérités. […] On ne se familiarise point impunément avec les Spectacles, selon l’expression de Saint Bonaventure ; ils conduisent à l’impiété comme au crime, et la chose ne doit pas nous paraître extraordinaire, attendu que la foi s’éteint presque toujours là où les passions dominent. […] et afin de n’en pas douter, considérez ce firmament où les étoiles comme en sentinelle attendent les ordres du Dieu qui les conduit ; contemplez ce soleil qui, toujours ancien et toujours nouveau, vous offre journellement l’image des plus brillantes couleurs et des plus superbes décorations ; regardez cette lune qui, par la douceur de sa lumière, donne à la nuit même des beautés que tout l’art des Peintres ne peut imiter ; voyez cette terre qui, par la plus admirable variété, se couvre successivement de fleurs et de fruits, et paraît un assemblage d’émeraudes, de saphirs et de rubis ; fixez la majesté de ces mers qui promenant leurs flots d’un bout du monde à l’autre, transportent les richesses et les passions des humains, et qui toujours prêtes à engloutir la terre, se voient continuellement arrêtées par un seul grain de sable que le Tout-Puissant oppose à leur fureur ; enfin considérez-vous vous-mêmes, admirez les merveilles qui résultent de l’union de votre âme avec votre corps, et donnez à vos pensées un essor qui les conduise à ces espaces immenses, et à ces jours éternels pour lesquels nous sommes nés.
Ce principe nous conduit donc naturellement à reconnoître l’utilité de la Comédie, & à convenir que ce genre d’instruction est plus propre que tout autre à corriger les hommes.
Il est de notoriété publique que les acteurs, les auteurs, les amateurs sont presque tous des libertins sans religion & sans mœurs, que le vice y a conduit, que le vice y entretient, ou à qui le théatre a enseigné & communiqué le vice.
« Le chemin qui conduit à la vie est étroit ; & la voie, qui conduit à la perdition, est large, & celle, que presque tout le monde suit : le royaume des cieux (dit Jesus-Christ ailleurs) se prend par force, & ceux, qui employent la force, le ravissent » : Matt. 11. v. 12. […] Il est de la foi, qu’une vie purement naturelle ne nous conduira jamais au salut : une fin surnaturelle ne s’acquiert, que par des moiens, qui visent plus haut que la nature. […] Oui, mon Seigneur, je dois vous obéir, & c’est pour vous obéir que je veux aller aujourd’hui à la Comedie : ce sera vôtre Esprit qui m’y conduira : ce sera vous qui serez le principe de cette action, c’est par vôtre Croix que vous me l’avez meritée.
L’amour est présentement la passion qu’il y faut traiter le plus à fond ; et quelque belle que soit une pièce de Théâtre, si l’amour n’y est conduit d’une manière délicate, tendre et passionnée, elle n’aura d’autres succès que celui de dégoûter les Spectateurs, et de ruiner les Comédiens. […] Le désir de plaire est ce qui conduit le premier, et le second est conduit par le plaisir d’y voir peintes des passions semblables aux siennes : car notre amour propre est si délicat, que nous aimons à voir les portraits de nos passions aussi bien que ceux de nos personnes. […] Comme ces deux passions ne passent dans l’esprit de ceux qui ne se conduisent pas par les règles de l’Evangile, que pour de nobles maladies de l’âme, surtout quand on ne se sert pour les contenter que des moyens que le monde trouve honnêtes : les Poètes se rendant d’abord les esclaves de ces maximes pernicieuses, en composent tout le mérite de leurs Héros.