Boissi ne voulant perdre ni ses bons mots, ni les profits de la représentation, changea le titre de la farce & l’appela la Péruvienne, rhabilla quelque scène, y sema des vaudevilles, & la fit jouer. […] On fait même changer deux ou trois fois la scene, & dans une bague montée en bascule, on peut fournir bien plus de changemens. […] chaque perdrix tenoit dans son bec autant de billets qui renfermoient les vers qu’il falloit changer. […] Je ne sais si les réflexions qu’on a faites dans le livre précédent sur l’indécence d’un monument si profane dans l’Eglise en a fait changer la destination ; mais ce changement étoit indispensable.
La Fontaine met dans ce recit quelques circonstances différentes, qui ne changent rien dans la moralité, il en ajoute même une autre à dessein. […] Les malheurs inévitables & communs à toutes les femmes, n’épargne pas plus le théatre que la cour & la ville, ils sont même plus présens & plus certains à toutes les femmes qui se fardent puisque le tard lui-même creuse les rides, ternit le tein, le rend livide & plombé, change les traits, rend la peau dure, & precipite la chûte de la beauté naturelle ; à plus forte raison quand le crime, par le feu des desirs, la vivacité des mouvemens, l’épuisement des forces, l’excès du libertinage, portent à tous les organes des corps mortels. […] Elle alla chercher de tous côtés des herbes dont elle connoissoit la vertu, & les fit bouillir : elle ouvrit les veines d’Ezon, en fit couler tout le vieux sang, & à sa place, y fit entrer la liqueur qu’elle avoit préparée, qui se changea en sang : ce sang nouveau rétablit le vieillard, les forces, la vigueur, la fraîcheur, les agrémens de la jeunesse lui revinrent, comme à quarante ans, il en fut dans le plus grand étonnement. […] Les compagnons d’Ulysse abordent dans l’isle de Cirée, pour prendre des rafraîchissemens, & le livrer à la débauche : la maîtresse qu’on appelle Reine, leur fit, sous l’habit d’une actrice, l’accueil le plus favorable, & leur fait boire une liqueur délicieuse ; mais empoisonnée, (avec des drogues qui portent à l’impureté ;) ils sont changés en bêtes, en loups, en pourceaux, en lions, en ours, & enfermés dans une étable, d’où ils ne peuvent plus sortir ; où on les nourrit de glandes images des effets de la volupté qui transforme les hommes en bêtes, & selon leurs caractères divers, les rend immondes comme des pourceaux, voraces comme des loups, furieux comme des lions, & les reduit à la derniere misere, il faloit que le Divin Homere aimât la table ; dans ce qui précéde leur changement en ce qui suit leur retour, qui occupe trois ou quatre pages, il est parlé vingt fois de bonne chere ; ils ne font que boire & manger, & U’ysse comme les autres. […] Ce n’est pas par la volupté que les libertins sont changés en bêtes, ce qui seroit une leçon de morale ; c’est par la vengeance de Circé, leur rétablissement n’est pas un retour à la vertu, ils ne font que se plonger dans le vice ; le théatre offre par-tout de débauches & des extravagances.
Mais les choses ont tellement changé de face, et se sont si fort perverties, que c’est présentement une espèce de paradoxe de dire, qu’on ne peut aller à la Comédie sans blesser sa conscience et sans offenser Dieu.
Vous aimeriez mieux un sermon peut-être, mais souvenez-vous de ce beau précepte d’Horace « segnius irritant etc.. »p « Qu’on n’attribue pas au théâtre le pouvoir de changer des sentiments et des mœurs qu’il ne peut que suivre et embellir. »q Embellir des mœurs n’est-ce pas à peu de chose près les changer, rendre un Peuple voluptueux, galant ; un Peuple badin, spirituel et délicat ; un Peuple naturellement farouche, brave et généreux ; c’est ce me semble gagner beaucoup sur l’humanité, c’est profiter d’un caractère vicieux faute de raison qui l’éclaire, pour en former un caractère qui devient estimable par sa réforme : c’est retrancher des mœurs ce qu’elles avaient de défectueux auparavant ; et Molière en se bornant à l’embellissement des mœurs du Peuple qu’il voulait corriger, a sans doute rempli la tâche que la raison impose aux Philosophes. […] Ils transforment au contraire cette passion en sentiment, ils veulent toujours qu’elle soit subordonnée à la Vertu, qu’elle soit justifiée par le mérite et la sagesse de la personne aimée : si cette passion est telle dans les mœurs des Français, assurément les Auteurs auraient grand tort de la peindre comme criminelle, mais si cette passion n’est pas encore telle et n’est qu’un tribut que les Auteurs imposent aux cœurs bien faits en faveur de la Vertu, loin de changer les mœurs, ils veulent apprendre ce qui manque à leur perfection. […] Lesage en a changé le titre parce que le point d’honneur est le mobile de toute l’intrigue. […] [NDE] Dancourt reformule ici librement l’argument suivant de Rousseau : « Aussi, le goût général ayant changé depuis ces deux Auteurs [Corneille et Molière], si leurs chefs-d’œuvre étaient encore à paraître, tomberaient-ils infailliblement aujourd’hui. […] En ce sens il semblerait que cet effet, se bornant à charger et non changer les mœurs établies, la Comédie serait bonne aux bons et mauvaise aux méchants. » ab.
Ils ont fait de la Comedie, ce que les Maistres font de leurs seruantes, quand ils les espousent : Ils luy ont fait changer d’estat, & de condition : Ils font cause que ce n’est plus elle. […] Mais le Village ne deuient pas pour cela la Cour ; & la propreté ne s’appelle pas magnificence ; & Siluie n’est pas changée en Semiramis ; & les guirlandes de la Mariée ne doiuent pas estre de diamans, de rubis, & d’esmeraudes ; Il faut qu’elles soient de jasmin, de roses & de marjolaine. […] Et par consequent les jeunes filles, les soldats, & les nourrices representées par ces beaux esprits, sont d’vne espece qui ne se trouue point parmy nous ; sont des personnes inconnües, estranges, extraordinaires ; font d’vn autre Monde que le nostre ; ou il faut dire, Monsievr, qu’ils ont changé tout a fait le nostre.
Le christianisme n’a point changé, il a augmenté ces idées ; l’infamie subsiste, et n’est que plus méritée, puisqu’ils osent se dire Chrétiens. […] Je dis quelque poignée de cendres : on a beau réformer le théâtre, on a beau couvrir le feu, il ne change point de nature, il brûle toujours, le moindre souffle le rallume, les étincelles en volent, il faut l’éteindre absolument. […] Si nos pièces avaient été composées de leur temps, qu’aurait-on eu à y changer ou ajouter pour les jouer ?