Elle sait, comme dit saint Paulin, que toutes les créatures corporelles qui attirent nos cœurs par l'entremise de nos yeux, sont autant de rets dont le Diable se sert pour nous prendre ; autant d'épées dont il tâche de nous percer le cœur.
Jean Chrysostome contre la Comédie, et de montrer combien elle est contraire à la Discipline de l’Eglise, et les maux qu’elle attire sur le peuple Chrétien. […] Il continue ses Réflexions sur saint François de Sales, et veut qu’on lise les autres Ouvrages de ce Saint pour se convaincre qu’il en est peu entre ceux des anciens Pères qui inspirent un mépris du monde plus entier, et une aversion plus héroïque de ses maximes et de ses plaisirs, en tâchant d’attirer les âmes par une sagesse, et une charité cachée sous une indulgence apparente. […] Il se sert de la comparaison des Peintures immodestes dont l’usage est condamné, parce qu’elle ramènent naturellement à l’esprit ce qu’elles expriment ; et il dit que les expressions du Théâtre touchent plus, parce que tout y paraît effectif : les vraies larmes dans les Acteurs en attirent d’aussi véritables dans ceux qui les regardent. […] Ceux qui avaient espéré de lui trouver des approbations, ont pu voir par la clameur qui s’est élevée contre la Dissertation, et par la censure qu’elle a attirée à ceux qui ont avoué qu’ils en avaient suivi quelques sentiments (L’on peut croire que M. de Meaux veut parler de l’interdit du Théologien, par feu M. de Harlay Archevêque de Paris,) que l’Eglise est bien éloignée de les supporter : et c’est encore une preuve contre cette scandaleuse Dissertation, qu’encore qu’on l’attribue à un Théologien, on ne lui ait pu donner des Théologiens, mais de seuls Poètes Comiques pour Approbateurs, ni la faire paraître autrement qu’à la tête, et à la faveur des Comédies.
Voilà en peu de mots ce que l’on peut dire de plus obligeant et de plus avantageux pour Molière : et certes, s’il n’eût joué que les Précieuses, et s’il n’en eût voulu qu’aux petits Pourpoints et aux grands Canons, il ne mériterait pas une censure publique, et ne se serait pas attiré l’indignation de toutes les personnes de piété : mais qui peut supporter la hardiesse d’un Farceur, qui fait plaisanterie de la Religion, qui tient École du Libertinage, et qui rend la Majesté de Dieu le jouet d’un Maître et d’un Valet de Théâtre, d’un Athée qui s’en rit, et d’un Valet plus impie que son Maître qui en fait rire les autres. […] Il est vrai que la foule est grande à ses Pièces, et que la curiosité y attire du monde de toutes parts : mais les gens de bien les regardent comme des Prodiges, ils s’y arrêtent de même qu’aux Eclipses et aux Comètes : parce que c’est une chose inouïe en France de jouer la Religion sur un Théâtre, et Molière a très mauvaise raison de dire, qu’il n’a fait que traduire cette Pièce de l’Italien, et la mettre en Français : car je lui pourrais répartir que ce n’est point là notre coutume, ni celle de l’Église : l’Italien a des vices et des libertés que la France ignore, et ce Royaume très Chrétien a cet avantage sur tous les autres, qu’il s’est maintenu toujours dans la pureté de la Foi, et dans un respect inviolable de ses Mystères. […] Molière devrait rentrer en lui-même, et considérer qu’il est très dangereux de se jouer à Dieu, que l’impiété ne demeure jamais impunie, et que si elle échappe quelquefois aux feux de la Terre, elle ne peut éviter ceux du Ciel ; qu’un abîme attire un autre abîme, et que les Foudres de la Justice divine ne ressemblent pas à ceux du Théâtre : ou pour le moins s’il a perdu tout respect pour le Ciel (ce que pieusement je ne veux pas croire) il ne soit pas abusé de la bonté d’un grand Prince, ni de la piété d’une Reine si Religieuse, à qui il est à charge, et dont il fait gloire de choquer les sentimentsq. […] La sagesse du Roi détournera ces malheurs que l’impiété veut attirer dessus nos têtes, elle affermira les Autels que l’on s’efforce d’abattre ; et l’on verra partout la Religion triompher de ses ennemis sous le Règne de ce Pieux et de cet invincible Monarque, la gloire de son Siècle, l’ornement de son État, l’amour de ses Sujets, la terreur des Impies, les délices de tout le genre Humain, vivat Rex, vivat in æternum.
Mais s’il faut estimer les effets par la cause, juger l’action selon le dessein, combien celui d’Isabelle est-il recommandable, qui n’a eu autre désir de venir en France, que pour voir ce grand arbitre du monde, ce bien universel admiré de toute l’Italie, ce Roi reconnu de toutes les nations pour le plus grand de la terre, appelé et conduit de Dieu par la voix de ses merveilles, qui lui a donné cette couronne par son sang, de qui la valeur acquise par son bras, qui la conserve par sa bonté, la régit par ses lois, et par sa renommée possède le monde : les Antipodes ne voient point nos étoiles du Nord, mais ils ont vu la clarté de ce Soleil, qui nous a donné la lumière et la vie, qui d’une main a déployé le sceptre, de l’autre le pardon, étouffant la cause et la vengeance ensemble ; qui emportant une victoire, a toujours triomphé de deux, donnant le salut aux vaincus après avoir dompté les rebelles ; et ainsi que l’âme, qui n’est qu’une au corps, a plusieurs puissances en ce Roi, qui n’est qu’un, elle a vu les perfections de tous les Rois ensemble ; elle a vu l’aimant qui attire toutes les belles âmes, qui de ses sujects est autant revéré, comme Sauveur du pays, qu’honoré en Roi nécessaire ; et plus salüé en père qu’en Seigneur ; qui règne sur nous comme les intelligences au Ciel, et le Soleil sur la terre, d’où il me faudroit élever pour chercher dans les cieux des paroles célestes à une vertu divine. […] Mais combien y avait-il d’aise à voir le Catadrome : machine subtile, descendre ses grands ravisseurs, comme l’Aurore son Memnon, Jupiter son Ganymède, Diane son Endymion, c’est ce qui donna occasion à Crésus esclave et captif de Cyrus de lui donner avis de permettre les jeux publics, et Comédies aux Lydiens, qui par plusieurs fois s’étaient révoltés de son obéissance, et que leur esprit y serait retenu ; ressemblant aux enfants qui font état de toutes sortes de plaisirs, et sont bien aises d’être attirés celui-ci par leur Prince. […] Continuez donc, belle, docte et divine Muse, à imiter les mouches d’Hymette, qui des fleurs dont nous ne tirons que la senteur et la couleur font le miel doucereux : Jugez qu’il n’y a rien qui puisse contenter ceux à qui la vertu et la félicité ne peut suffire : car l’une comprend tout ce qui est à faire ; et l’autre, ce qui se peut souhaiter ; mais nos souhaits ne doivent-ils pas être accomplis au transport de l’aise que nous sentons quand nous voyons cet Oracle du monde, dont le nom est porté par toute la terre : qui avec un port de Vestale, et les façons de Mars, fait voir Mercure sur ses lèvres, Minerve en sa poitrine, Apollon en l’esprit, qui comme un autre Soleil, attire par ses rayons notre vue et nos louanges, et nous fait avouer que la matière surmonte l’œuvre, et qu’elle est digne des honneurs qui élevèrent Hercule dans les cieux : Elle en sait imiter les astres, qui font un chemin tout contraire à celui du monde, et vont encore mieux que lui.
Des propos licencieux, des chants de Syrene, qui vous attirent pour vous dévorer. […] On représente l’amour, non pas comme un crime, c’est une simple foiblesse, encore une foiblesse noble & agréable, la foiblesse des Héroïnes & des grands Hommes ; c’est une foiblesse que l’on a sçu si bien déguiser & embellir, qu’elle attire tous les regards, elle charme toutes les oreilles, elle séduit tous les cœurs ; le portrait que l’on en a fait est si flatteur, qu’on ne s’en lasse point, on ne souffre plus guères de Spectacles où elle ne se rencontre pas : c’est elle qui préside à toute l’action, elle est devenue essentielle aux Tragédies les plus sérieuses : en quoi la France a enchéri sur les Grecs & sur toute l’antiquité payenne.
Dans ce siècle où le plaisir est une affaire si importante, que tous les raffinements de la civilisation semblent n’avoir que ce seul but, on ne manquera pas, peut-être, de taxer d’insensée et de présomptueuse une entreprise qui a pour objet d’appeler l’attention du public sur les écrits de certains personnages qui se sont prononcés contre les représentations théâtrales, lesquelles attirent de nos jours une si prodigieuse affluence et sont l’objet d’un si étrange empressement.