Nous ne saurions donc ignorer ici la règle de notre conduite : ces exemples nous l’apprennent assez ; mais nous ne pouvons abandonner cette règle sans nous rabaisser au-dessous du Païen, sans renoncer à la raison, et à cette Philosophie même dont on se pique tant aujourd’hui. […] Vous me dites qu’il continue dans sa profession scandaleuse, qu’il y forme même plusieurs jeunes Païens, et qu’il leur enseigne ce qu’il n’a pu apprendre sans crime. […] On prétendait en son pays, comme ailleurs, qu’il y a quelque chose de bon à apprendre à la Comédie. […] Est-ce la coutume que des pères de famille envoient leurs enfants en de mauvais lieux pour y apprendre quelque chose de bon ? […] A-t-on vu quelqu’un jusqu’ici s’embarquer dans un navire qui fait eau de toutes parts, pour apprendre à se sauver dans un naufrage ?
Ne croyez pas, dit Saint Gregoire de Nysse1, que la pratique de l’Excommunication soit de l’invention des Evêques ; c’est la Loi de nos Peres, c’est la Régle de l’ancienne Eglise, qui a commencé dès Moïse, & qui a trouvé sa perfection dans l’Evangile : Saint Paul s’en servit contre un Corinthien engagé en un commerce incestueux avec sa belle-mere : j’apprends, dit ce grand2 Apôtre aux Corinthiens, l’horrible incontinence où l’un des membres de votre Eglise est tombé, c’est un désordre que les Gentils ne se pardonnent pas ; il a abusé de la femme de son pere, & vous n’en avez pas gémi devant Dieu, vous ne l’avez pas chassé comme une peste publique : quoique je sois absent de corps, je suis avec vous en esprit, & j’ai jugé ce coupable au Nom du Seigneur, je l’ai livré à Satan, pour votre édification ; car ignorez-vous qu’un peu de levain corrompt toute la masse, ainsi vous devez retrancher le mal, & l’éloigner de vous. […] Prélat, de représenter devant le peuple la vénérable Passion de Jesus-Christ, les glorieux combats des Martyrs, les actions édifiantes des saints Personnages ; mais la malice des hommes ayant infecté ces Exercices, de maniere qu’ils sont devenus un sujet de risée & de mépris pour les uns, une pierre de scandale pour les autres ; c’est pourquoi nous avons statué que désormais aucuns des Mystéres de la religion, ni rien de tout ce qui concerne la gloire des Saints, ne soient représentés, soit que le Spectacle se produise en un Temple ou dans une maison profane : on se contentera de narrer les pieux événemens, & de porter les fidéles à imiter, à vénérer, à invoquer ceux dont ils apprendront les vertus & les miracles.
Ils lui apprirent qu’il y avait des régles pour enchanter le Public ; & qu’il ne suffisait pas d’exciter à rire ; mais qu’il fallait peindre avec finesse un ridicule. […] Les Arts peuvent-ils citer un génie heureux qui les ait fait connaître par son seul travail, ainsi que Térence découvrit les beautés de la Comédie chez les Latins, & que Corneille apprit aux Français le grand art de la Tragédie ?
Mais je l’ai déjà-dit, qu’à-t-il besoin de l’exposition, puisqu’elle n’est établie que pour apprendre des faits passés depuis long-tems ? […] On voit plusieurs fois de suite la même Pièce, & l’on sent toujours pour le Héros le même intérêt que si l’on apprenait pour la prémière fois son Histoire.
Sa plume qui est le truchement de ses pensées, et ses écrits le symbole de ses mœurs, font connaître, que ses œuvres sont l’image de son esprit, et son visage étant l’âme raccourcie de son naturel et le miroir de son cœur, montre par la débilité de son cerveau, que ses sens sont égarés, et que son jugement a sorti les bornesc de la raison, par ce grand débordement d’injures dont son libelle est rempli : Ce Casuiste semble avoir mal pris ses mesures, d’avoir voulu faire un parallèle, de la Profession des anciens Histrions, à celle des Comédiens ; d’autant qu’il n’y a aucune affinité ni correspondance entre leurs exercices, l’une étant un pur batelage et souplesse de corps, et l’autre une représentation d’une fortune privée, sans danger de la vie, comme témoigne Horace, en son livre, de Arte d, « Comedia vero est Civilis privataeque fortunae sine periculo vitae comprehensio » ; Je sais bien qu’il y en a plusieurs, qui ne sachant pas la différence de ces deux professions, confondent l’une avec l’autre, et sans distinction de genre, prennent leur condition pour une même chose ; Mais il y a une telle inégalité entre elles, qu’il est facile de juger par la diversité de leurs fonctions, qu’elles n’ont nulle conformité ensemble, car celle des histrions n’est comme j’ai déjà dit qu’une démonstration d’agilité de corps et subtilité de main, mais l’autre étant une action plus relevée, fait voir qu’elle est une école des plus belles facultés de l’esprit, et où la mémoire fait un office digne d’admiration ; l’antiquité nous apprend qu’autrefois les Romains avaient ces Bateleurs en quelque considération, à cause du divertissement qu’ils donnaient à leurs Empereurs, mais ayant abusé du crédit qu’ils avaient obtenus du Sénat, s’adonnèrent à toutes sortes de licences pernicieuses, ce qui obligea la ville de Rome de les chasser, et particulièrement un nommé Hyster, qui s’étant retiré à Athènes, fut suivi d’une bande de jeunes hommes, auxquels il enseigna ses tours de passe-passe et autres parties de son métier, et furent appelés Histrions, du nom de leur Maître, ces Libertins s’ennuyant de demeurer si longtemps dans un même lieu, prirent résolution de revenir à Rome pour exercer leurs jeux : Mais l’Empereur Sévère, ne pouvant souffrir ces Ennemis des bonnes mœurs, fit publier un Edit, par lequel ils furent pour la seconde fois bannis de tout le pays latin ; Lisez ce qu’en dit Eusebius, et Prosper Aquitanus, sur la remarque des temps et des siècles : Pour le regard des Mimes, ou Plaisanteurse, ils ont pris leur source d’un certain bouffon appelé Mimos qui signifie en langue grecque Imitateur, d’autant qu’en ses représentations il contrefaisait divers personnages, et imitait les façons des uns et des autres. […] Cyprien qu’à médire de ceux qui la voient, il aurait appris que le devoir d’un vrai Religieux, doit plutôt s’élever à la méditation de sa vie, qu’à chercher de quoi épiloguer sur celle d’autrui.
Ne serait-il pas bien édifiant de voir prononcer sur les canons des conciles, sur les bulles des Papes, sur les ordonnances des Evêques, un homme qui vient d’apprendre la discipline ecclésiastique et les règles des mœurs dans la loge d’une Actrice ? […] La science des lois, des ordonnances, des arrêts, est infinie ; la vie de l’homme suffit à peine pour l’apprendre.