Comme l’erreur que j’attaque est si ancienne qu’elle a pris, pour beaucoup de monde, nature de vérité, je crois ne pouvoir trop multiplier les raisons qui peuvent appuyer celles avec lesquelles je viens de la combattre. Le passage suivant, tiré d’un ancien auteur latin très-souvent cité, confirme bien mon opinion sur les effets irritants de l’action théâtrale : Segniùs irritant animos demissa per aurem Quam quæ sunt oculis subjecta fidelibus. […] L’exemple ou l’opinion des anciens ne peut pas servir d’argument contre la mienne ; car, d’autres temps, d’autres mœurs ; d’autres mœurs, d’autres moyens de diriger les hommes. Au bout d’un certain nombre de siècles, il naît un nouvel ordre de choses, dit un ancien lui-même de la plus grande autorité. […] Dailleurs, les anciens n’étaient pas plus d’accord que les modernes sur ce point.
Peut-on méconnaître maintenant l’origine et les motifs de la haine implacable de quelques prêtres contre les philosophes anciens et modernes ? […] Les prêtres des anciennes religions firent en conséquence tous leurs efforts pour égarer et fatiguer l’esprit humain, par les idées théologiques les plus incohérentes, les plus inconcevables ; par des fables ridicules, par des mystères absurdes et inexplicables. […] On conçoit difficilement le succès de ces maîtres fourbes, et pourquoi dans les temps anciens, ainsi que les casuistes relâchés que la société de Jésus a vomis dans des temps plus modernes, ils réussirent à faire goûter si rapidement aux mondains, la morale la plus corrompue. Il sera aisé de le comprendre, si on réfléchit que cette faction religieuse ancienne et moderne, s’est toujours appliquée à étudier le cœur humain, à en connaître les défauts et les vices, et à flatter ses inclinations perverses. […] Cette vérité incontestable est appuyée de faits innombrables qui abondent dans l’histoire ancienne et moderne des peuples et dont aujourd’hui la malheureuse Espagne nous offre les preuves les plus tristes.
Pour établir de nouvelles Loix, ou pour remettre en vigueur les anciennes, il faut toute la fermeté et toute la puissance du Gouvernement ; mais la réformation du Théâtre ne demande pas le moindre effort : une simple Ordonnance suffirait, non seulement pour le réformer, mais même pour le détruire ; et cela sans qu’il y eût à craindre le moindre scandale, ni la moindre opposition. […] Les Comédiens de profession ne s’aviseront pas d’en faire l’épreuve ; et, s’il s’en trouvait qui y pensassent sérieusement et qui voulussent l’exécuter, ils verraient bientôt leur Théâtre désert ; et, à l’exception d’un petit nombre de personnes sages et raisonnables, tout le monde se moquerait d’eux et les abandonnerait : la misère suivrait de près leur entreprise ; et, s’ils n’avaient pas la constance de la souffrir patiemment, ces mêmes Comédiens, si bien intentionnés, se trouveraient réduits à la nécessité de revenir à leur ancienne méthode, et peut-être avec plus de licence et de désordre qu’auparavant, pour se dédommager du tort qu’ils se seraient fait à eux-mêmes par leur sagesse, et par leur retenue.
II est sûr au moins qu’il ne se serait pas rangé de leur parti comme fait notre Docteur, et qu’il n’aurait pas douté comme lui, si on devait les entendre au préjudice des Conciles et des anciens Pères. […] Mais il soutient que tout cela ne regarde que les excès de la Comédie ancienne, et qu’ainsi on n’en peut tirer de preuves contre celle d’aujourd’hui. […] Il ne s’agit que du Théâtre et de la Comédie ; c’est la Comédie ancienne que nous avons à comparer avec la Comédie moderne. Les Pères ont condamné la Comédie ancienne ; notre Docteur en demeure d’accord : mais il prétend en même temps qu’il ne reste rien dans la Comédie d’aujourd’hui de ce que les Pères ont blâmé dans la Comédie ; et c’est ce que nous avons à examiner. […] Les anciens Païens ne souffraient pas même que leurs enfants montassent sur le Théâtre, et ceux qui se donnaient cette licence, étaient censés dès lors avoir dégénéré, suivant la remarque de Tacite.
J’ai vu des écoliers de seconde & de réthorique, après avoir vu représenter quelques pieces, se dire comme cet ancien, & moi aussi je suis peintre, & composer des drames, qui valoient beaucoup, de ceux qu’on donne au public. […] De là le désir de ramasser des manuscrits, & de donner des éditions des anciens Auteurs ; non par lui-même, il n’étoit ni studieux, ni savant ; mais par des Litterateurs à ses gages. […] Rien là de surprenant, Marie de Medicis étoit Italienne, Henri IV. étoit galant, & les Seigneurs sont en possession ancienne & paisible, d’étre attachés au char des Actrices. […] Les noms des acteurs presque tous Italiens ; plus de liberté dans la composition, plus de tabarinage, de farce, reste de son ancienne futilité, & licence, sont les seuls traits qui mettent entr’eux quelque différence. […] Riccoboni pretend que l’usage des masques vient des anciens Attellanes qu’on jouoient à Rome, toujours en masques ; c’étoient des vraies farces, dont le goût s’est conservé.
Les Poëtes anciens, & ceux du dernier siécle, ont parcouru une partie de ces regions fertiles ; mais dans cette partie même il est encore une multitude de sources à découvrir. […] Quelques modernes, en petit nombre, ont imité les anciens, mais ils les ont presque toujours surpassés dans leurs copies, & alors même on ne doit imputer leur traduction qu’à une certaine paresse dont le génie le plus actif secoue le joug difficilement. […] Une imagination forte médite les anciens, pour y découvrir le sceau de la nature.