La Tragédie d’Iphigénie me paraît très convenable au nouveau Théâtre : On pourrait dire que c’est une Tragédie sans amour ; puisque celui d’Achille (qui a tous les caractères de l’amour conjugal) est plutôt un devoir qu’une faiblesse ; et que c’est moins son amour, que sa passion pour la gloire qui donne lieu aux transports qu’il fait éclater. Il est vrai que l’amour insensé d’Eriphile pourrait paraître illégitime ; mais, outre que c’est un amour caché et nullement de mauvais exemple, on verra qu’il est si malheureux, qu’il peut même servir d’instruction. […] Quant à l’amour de Pulchérie et de Léonce, outre qu’il ne leur échappe pas la moindre expression qui fasse connaître leur passion, je trouve que c’est une espèce d’amour que ni les Anciens, ni les Modernes n’ont jamais traité avant Corneille. […] La passion d’amour, au contraire, est un Caméléon qui change de couleur à tout instant, suivant le caractère des personnes qui en sont possédées. […] Dans Manlius Capitolinus je trouve que l’amour de Servilius et de Valérie ne peut être que très propre à corriger.
En effet, l’amour de Porus et de Taxile pour Axiane, et l’amour d’Alexandre pour Cléofile font le nœud de l’action, et la victoire d’Alexandre contre Porus n’en occupe que la plus petite partie. […] La passion d’amour, qui du temps de Racine s’était si généralement emparée du Théâtre, peut seule l’excuser d’en avoir fait usage avec tant de profusion. […] On ne pouvait rien imaginer de plus adroit pour donner un air de bienséance à un amour, qui n’est pas moins vif que tendre. […] Ce n’est pas une bonne Tragédie, et c’est l’amour mal imaginé, selon moi, qui lui fait tort. […] Leurs caractères sont faux dans l’héroïsme, dans le politique et dans l’amour même ; C’est l’amour qui produit tout cela, et c’est de ce point que partent toutes les extravagances qu’ils font.
Dans quelle Piéce ancienne, en Italie, en Angleterre, & en Espagne, n’est-il point parlé d’Amour ? […] Il semble que dans son Antigone il ne pouvoit se dispenser de parler d’Amour. […] La Médée d’Euripide est une Piéce pleine de fureur sans amour. […] fit gloire aussi jusqu’à la mort d’un amour adultere. […] Bannir entierement l’amour de notre Théâtre, n’étoit pas le projet d’un jeune homme.
Qu’on peut faire de fort belles Tragédies sans amour ; je parle de l’amour tendre et passionné des Amants. […] l’Amour était-il inconnu pour lors ? […] Mais je ne voudrais pas aussi que sa faiblesse allât jusqu’à prendre de l’amour. […] Mais, excepté l’amour, il pourrait sentir les autres passions. […] Pour moi qui ne veux point d’amour dans les Tragédies, il me semble que l’on peut n’y mettre point de femmes ; car, excepté l’amour, toutes les autres passions peuvent se soutenir sans elles.
Il me paraît que l’amour de Cinna et d’Æmilie affaiblissent considérablement la majesté et la force de l’action dans cette Tragédie : ils ont l’un et l’autre un motif assez fort pour conspirer contre Auguste, sans intéresser l’amour dans leur projet. […] Pierre Corneille, dans ce monologue, fait lui-même la critique de l’amour, indigne de traverser les beaux sentiments qui animent Cinna. […] Cependant, c’est l’amour qui fournit les motifs de l’action, des épisodes, de l’intrigue et de la catastrophe. […] On ne parle, dans toute la Pièce, que de l’amour de Lavinie pour Agrippa, et de l’amour d’Albine pour Tibérinus, qui passe pour le meurtrier de son frère. […] Tout cela fait voir avec quelle réserve il faut ménager une pareille déclaration d’amour, si on veut garder les bienséances et le vraisemblable en même temps.
En est-ce une d’amour conjugal ? […] L’amour n’inspire point le sentiment, mais le sentiment donne du génie à l’amour. […] c’est le sublime de l’amour. […] Que l’amour de Phedre est inventif ! […] Tous les ressorts de la Tragédie sont ici mis en jeu ; pitié, terreur, amour de la patrie, amour paternel, amour filial.