Ce phénomène a un air d’héroïsme & de piété, que les harangueurs & les Poëtes ont élevé jusqu’au ciel, & que le peuple a cru sur leur parole ; l’histoire fournit peu d’exemple d’abdication d’une couronne, il n’y en a aucun parmi les femmes ; on voit bien des Impératrices & des Reines qu’on y a forcé, aucune ne la fait volontairement. […] Le règne de la Suédoise d’abord heureux par la sagesse des Ministres de son père, pendant sa minorité n’étoit plus rien depuis qu’elle avoit pris les renes du gouvernement, elle faisoit jouer des comédies, n’avoit à sa Cour que des bouffons pour s’amuser & des savans pour lui donner un air de savante. […] Que cet air de science n’en impose pas, elle n’avoit des Savans à la Cour que par vanité, pour se donner un air & une réputation de sciences ; c’étoient des Officiers pour le département des lettres, comme elle avoit des Officiers de la bouche & de la garde-robe. […] On croyoit qu’elle s’habilloit en homme, & en prenoit les allures pour cacher ses défauts ; elle étoit petite & contrefaite, n’avoit rien de fin dans ses traits, rien de délicat dans son tein, chantoit & dansoit mal, n’avoit aucune des grâces de son sexe, son air plein de hauteur & de fierté, de mauvaise humeur & de brusquerie, y ajoutoit encore de la rudesse & de la grossiéreté. […] Voici le François de Ménage, dans ce seul trait on en verra mille : Quelle est donc cette Nymphe en charmes si séconde, Et qui change à son gré l’air & la terre & l’onde ?
Nous nous contentons de ce que les choses nous paraissent d’abord : notre fond naturel de gaîté nous oblige à chanter indifféramment toutes les paroles qui sont sur des Airs. […] L’un de son corps vante l’air héroïque59. Dit-on l’air héroïque d’un corps ? L’usage est pour l’air du visage, où l’on dirait en général, son air héroïque.
On y voit la passion la plus généralement répandue et la plus à craindre s’élever sur les ruines de toutes les vertus, dominer dans presque tous les cœurs et fonder les principaux intérêts ; on y voit les faiblesses et les crimes qu’elle traîne à sa suite, déguisés, palliés par les tours ingénieux d’une morale aussi fausse que séduisante, justifiés, autorisés par de grands exemples, ou présentés sous des traits qui les font paraître plus dignes de compassion que de censure et de haine ; on y apprend à nouer les intrigues d’amour ou à en parler le langage, à en adopter les prétextes ou en répéter les excuses ; on y voit les autres passions les plus ardentes et les plus dangereuses, ces passions qui sont les secrets mobiles du cœur humain et qui enfantent tous nos malheurs, l’orgueil, l’esprit de domination, le ressentiment des injures prendre un air de noblesse et d’élévation qui semble les rapprocher de la grandeur d’âme et du vrai courage. […] Vice ou vertu, qu’importe, pourvu qu’on en impose par un air de grandeur. […] L’intérêt principal est pour Bérénice, et c’est le sort de son amour qui détermine l’espèce de catastrophe : non que ses plaintes donnent une grande émotion durant le cours de la pièce, mais au cinquième acte, où, cessant de se plaindre, l’air morne, l’œil sec et la voix éteinte, elle fait parler une douleur approchante du désespoir ; et les spectateurs vivement touchés commencent à pleurer quand Bérénice ne pleure plus. […] « Si on examine le comique de cet auteur, partout on trouvera que les vices de caractère en sont l’instrument, et les défauts naturels le sujet ; que la malice de l’un punit la simplicité de l’autre, et que les sots sont les victimes des méchants : ce qui, pour n’être que trop vrai dans le monde, n’en vaut pas mieux à mettre au théâtre avec un air d’approbation, comme pour exciter les âmes perfides à punir, sous le nom de sottise, la candeur des honnêtes gens. […] C’est un grand vice d’être avare, et de prêter à usure ; mais n’en est-ce pas un plus grand encore à un fils de voler son père, de lui manquer de respect, de lui faire mille insultants reproches, et, quand ce père irrité lui donne sa malédiction, de répondre d’un air goguenard qu’il n’a que faire de ses dons ?
Bien loin que les tons, les airs, les gestes, le style du théâtre soient utiles aux Ministres de l’Eglise ou à ceux de Thémis, ils lui sont absolument opposés : comment deux ennemis irréconciliables se serviraient-ils de leçon et de modèle l’un à l’autre ? […] 5.) rapporte que tout le monde se moquait ouvertement d’Hortensius, rival de Cicéron, et l’un des plus grands Orateurs, sur son affectation à copier les gestes et les airs du théâtre. […] « Qui sibi nequam est cui bonus erit. » Ces pièces de collège fussent-elles tolérables pour des laïques, peut-on sans gémir voir de jeunes Ecclésiastiques sur le théâtre, quitter leur habits, vêtus en mondains, en arlequin, en femmes, fardés, mouchetés, débitant des galanteries, chantant des airs efféminés, dansant, cabriolant, ce qui leur est absolument défendu par tous les canons, et qui est ordinaire dans les collèges où l’on emploie sans distinction les clercs, comme les autres, souvent bénéficiers dans les ordres sacrés ? […] Au défaut de paroles, elle s’exprime par l’énergie de ses pas ; son air enjoué et modeste, vif et réglé, fait entendre le reste. […] On a beau parer la morale du théâtre, et le théâtre lui-même, d’un air de piété ; on a beau l’étayer des décisions des plus graves Casuistes, il sera toujours vrai que l’Evangile et le monde sont deux ennemis irréconciliables : « Qui veut venir après moi, doit renoncer à soi-même, porter la croix, et me suivre. » g.
Si l’on voulait donner au Théâtre plus de magnificence, au-lieu des trottoirs élevés, il conviendrait mieux, que l’on construisît autour de la Place, des portiques colonadés, dans le goût de ceux des Théâtres Grecs & Romains, qui prendraient tout l’emplacement qu’occupent aujourd’hui les maisons : l’on découvrirait le fleuve des deux côtés ; l’air serait en été plus frais & plus pur : l’isolement de l’Edifice donnerait la facilité d’y pratiquer des ventouses, des ventilateurs, & tous les moyens de purifier l’air & de rafraîchir usités en Italie. […] L’Auteur, au-lieu de feindre une Lettre de M. l’Abbé** sur l’insalubrité de l’air dans nos Salles de Spectacles, devait tout bonnement renvoyer à l’article de l’Encyclopédie dont il a tiré cette observation, que la Mimographe rapporte, page 322.
Pollux distingue trois sortes de masques de Théâtre, des Comiques, des Tragiques & des Satyriques : il leur donne à tous, dans la description qu’il en fait, la difformité dont leur genre est susceptible, c’est-à-dire, des traits outrés & chargés à plaisir, un air hideux ou ridicule, & une grande bouche béante, toujours prête, pour ainsi dire, à dévorer les Spectateurs. […] Dans les Tragédies, Niobé paraît avec un visage où se peint le desespoir ; Médée nous annonce son caractère, par l’air atroce de sa physionomie ; la force & la fierté sont dépeintes sur le masque d’Hercule ; le masque d’Ajax est le visage d’un homme hors de lui-même.