Que le grand Corneille a honoré nostre siecle de tout ce que les honnestes plaisirs & la belle curiosité pouvoient attendre de l’Art & de l’Esprit. […] Messieurs Corneille le ieune, Desmarests, Moliere, Quinaut, Gilbert, Boyer, Racine, & Mademoiselle Desjardins ont droit aux plus justes loüanges qu’on ait jamais données ; & si nous voulons étaler nos petites Galanteries, & tous ces petits amusemens de Theatre, par où l’on tâche de delasser l’esprit des Auditeurs apres de serieux Spectacles : Il est des Devisés, des Viliers, des Iacobs, des Poissons, des Boursault, Chevalier, & beaucoup d’autres, que ie n’ay pas le bien de connoître, ou qui sont echapez de mon souvenir, qui sont tres-capables de divertir les plus delicats par leurs petites Comedies, & d’effacer les anciennes Fables Atellanes.
« Que veut, disoit le grand Bossuet à un Apologiste de la Comédie, que veut un Corneille dans son Cid ?
Cette sorte d’esprit n’est pas plus nécessaire pour jouer le rôle d’Ariane, qu’il ne l’a été pour composer les Fables de Lafontaine & les Tragédies de Corneille.
Croiroit-on que Corneille, Moliere, La Fontaine, Lulli sans compter Guerin, enfin l’abbé Aubert se soient exercés sur ce sujet ridicule, chacun à sa maniere ? Corneille, & Lulli un Opera. […] L’amour qui a inspiré tous les dramatiques ne vaut-il pas Corneille, Racine, Moliere, Regnard, Voltaire, Arlequin, Scaramouche, Gorgibus, &c. […] Corneille en fit plus de la moitié. […] le grand Corneille, le grand Rousseau, le petit Dom-Pelegrin, &c ont exercés leur verve sur ces anciens modeles, des magiciennes du théatre : la peinture, la musique, la danse n’ont eu garde de négliger un si riche fond ; ce n’est, il est vrai, qu’un tissu de forfaits horribles, & assez peu vraissemblables, dans des Princes qu’on n’auroit jamais du représenter ; il n’en sont que plus au goût de la scéne, & des Medées qui les remplissent, qui s’y peignent si naturellement elles-mêmes & leurs Jasons.
Il s’agit maintenant, sur notre Théâtre Français particulièrement, d’exciter à la vertu, d’inspirer l’horreur du vice, & d’exposer les ridicules : ceux qui l’occupent, sont les organes des premiers génies, & des hommes les plus célèbres de la Nation ; Corneille, Racine, Molière, Renard, monsieur de Voltaire, &c. leur fonction exige pour y exceller, de la figure, de la dignité, de la voix, de la mémoire, du geste, de la sensibilité, de l’intelligence, de la connaissance des mœurs & des caractères, en un mot, un grand nombre de qualités, que la nature réunit si rarement, dans une même personne, qu’on compte plus de grands Auteurs que de grands Comédiens.
Corneille parait avoir eu de la peine à s’y soumettre. Corneille, le grand Corneille lui-même eut bien de la peine à s’y soumettre.