Il prétend que « Nicole ne composa son traité que pour se venger du grand Corneille, qui se déclarait hautement contre la nouvelle secte. » En effet il prend dans Corneille tous les vers qu’il cite comme contraires aux bonnes mœurs. […] « Non ut serpentes avibus geminentur tigribus agni. » Ce parallèle fait tout le sublime de la plus grande partie des pièces de Corneille. […] Eustache, et Corneille celui de Polyeucte et de Théodore. […] C’est la faute où Corneille est tombé dans Polyeucte, où parmi tant de propos chrétiens, et des sentiments de religion, Pauline, femme du Martyr, fait avec Sévère son amant un entretien si peu convenable à une honnête femme, qu’il en est ridicule. […] Mais c’est un des endroits de Corneille qui pèchent contre le jugement, et ne ravissent que ceux qui se laissent abuser aux faux brillants. » Soit défaut de jugement ou de piété, cette faute est ordinaire dans toutes les pièces où l’on s’avise de parler religion et vertu.
Corneille, Racine, Crébillon, Voltaire, n’ont-ils pas fait des fautes ? […] Corneille, dans le commencement de Rodogune, a peint cette Princesse avec un dévouement pour le bien de l’Etat, qui lui fait oublier ses ressentimens propres, & sacrifier ses intérêts au traité de paix conclu entre le Roi des Parthes son frere & Cléopatre. […] Qui ne sauroit mauvais gré à Corneille d’avoir mieux soutenu le caractère de Rodogune au prix de tant de beautés ?
Si Corneille eût pris cette liberté dans le Cid, le mariage de Chimène s’accomplirait aux yeux des Spectateurs, qui n’auraient plus rien à désirer. […] Les Anciens nous en ont donné l’éxemple, du moins si nous en croyons le grand Corneille, qui paraît lui-même la conseiller à mots couverts. Voici comme il s’èxprime : « Les Grecs distinguaient les Actes par le chant du chœur ; & comme je trouve lieu de croire qu’en quelques-uns de leurs Poèmes ils le fesaient chanter plus de quatre fois, je ne voudrais pas répondre qu’ils ne le poussâssent jamais au-delà de cinq. » Celui qui parle de la sorte est le plus grand Poète dramatique que nous ayons ; c’est le grand Corneille, en un mot.
C’est le titre de deux pieces qu’a fait Corneille pour & contre le mensonge ; contre, car il lâche quelques vers pour en faire sentir la bassesse ; pour, car il le montre par-tout ingénieux, adroit, heureux, récompensé. […] Il n’est pas surprenant que Corneille, en bon Normand, ait fait l’éloge du mensonge, du moins est-il sincère dans l’aveu du mauvais effet que produit cette piece, & convient fort naïvement que la comédie, faite pour plaire, n’a pas ce mélange d’utilité pour les mœurs ; elle viole la maxime touchant la récompense des bonnes actions & la punition des mauvaises. […] Que de graves apologistes, Marmontel, Boursault, Fagan, Laval, &c. ces vénérables Pères de l’Église, viennent nous dire d’après Arlequin, la comédie corrige les mœurs, castigat ridendo mores, le vice y est toûjours puni, c’est une école excellente de vertu, &c. nous les prierons d’enchasser ces belles tirades dans la comédie du Menteur, dont elles pourront alonger les scènes, & de compter pour quelque chose Aristote, Horace, Plaute, Térence, dont le grand Corneille emploie l’autorité, & ce père du théatre lui-même, qui les valent bien, ne fût-ce que pour la droiture & la sincérité. […] Vie de Corneille par Fontenelle, l’Examen de ces pieces.
J’ai placé l’Epoque de sa véritable renaissance à Corneille, qui prit une route très-différente de celle des Grecs, & créa, pour ainsi dire, une nouvelle espece de Tragédie, qui est très-peu pleureuse. […] Cinna, Rhodogune, ne nous coutent point de larmes, notre grand Corneille nous fait rarement pleurer ; mais pour me servir du terme de Madame de Sévigné, il nous fait souvent frissonner, il nous tient toujours dans l’admiration, presque jamais dans la douleur.
Si Corneille & Moliere revenoient de l’autre monde ils seroient bien étonnés de l’éloge qu’on fait d’eux. […] A Corneille, à Moliere. […] dussent leurs chef-d’œuvres à Corneille & à Moliere ? […] Je cherche dans Paris les statues de Corneille & de Moliere ; où sont-elles, où sont leurs mausolées ? […] Il n’est point d’enfans capables de saisir & de suivre les raisonnemens, les vues, les intérêts de toutes les scènes de Corneille ; cette étude est pour eux une chimère.