[Extrait 2 : Livre VI, chap. 7] A cette cause on peut et doit nombrerc entre les miracles divins les apparitions des Ames. […] Car sa raison est que Dieu ne veut pas que ceux qui sont dedans les Enfers retournent comptere ce qui se fait en ces lieux, afin d’obvier au malheur qui en pourrait sourdre : Les damnés qui retourneraient au monde, souffleraient ès entrailles des hommes la fureur et la rage des tourments qu’ils endurent : Ainsi les Poètes Tragiques feignent que l’Ame de Thyeste sortant des Enfers, brouille et renverse tout l’état de sa famille, met en trouble sa maison, acharnef Egiste à vengeance, incite à fureur Clytemnestre, lui souffle le venin de jalousie en l’Ame, et la fait meurtrière de son mari : et l’acte commis, pousse Oreste à venger sur Egiste et sa mère la mort de son père, et les tuer tous deux, afin qu’après leur mort, il fût tourmenté de l’horrible regard des Erinyes et Furies qui lui représentent devant les yeux l’énormité et gravité du délit perpétré.
Ces pièces, dont la simple lecture, faite dans le silence du cabinet, serait capable d’échauffer votre âme, l’embraseraient d’un feu impur lorsqu’elles sont animées par les voix séduisantes des acteurs et par leurs attitudes passionnées. […] Le démon n’exigerait pas de voir d’abord que vous vous livrassiez aux plus grands désordres, mais il ferait naître dans votre âme une multitude de pensées criminelles qui diminueraient ses forces, et qui lui feraient perdre la vie de la grâce. […] Votre âme, bientôt éprise des plaisirs trop vifs du théâtre, trouverait les plaisirs innocents trop froids et trop insipides, et ne sentirait plus que du dégoût pour la piété. […] Votre présence au théâtre est un sujet de scandale pour ces âmes faibles qui ne se décident que sur l’exemple d’autrui, qui ne penseraient point à y aller, si elles ne vous y voyaient point courir avec une espèce de fureur, et qui n’y vont que parce qu’elles y sont entraînées par l’exemple pernicieux que vous leur donnez. […] L’expérience prouve qu’il n’y a point d’âmes plus dures et plus féroces que celles qui s’attendrissent sur des malheurs chimériques et romanesques.
Elle est héroïque, si elle est l’effet de l’âme portée à un degré extraordinaire jusqu’à un certain point. L’héroïsme est un courage, une valeur, une générosité qui est au-dessus des âmes vulgaires. […] La terreur au contraire affaisse l’âme, l’abat, l’anéantit en quelque sorte, & lui ôte l’usage de toutes ses facultés : elle ne peut ni fuir le danger, ni s’y précipiter. […] Ces situations sont très-touchantes ; elles serrent le cœur, troublent l’âme à un certain point, mais elles ne vont pas jusqu’au but. […] Ainsi la terreur & la pitié que la peinture des évènemens Tragiques excitent dans notre âme, nous occupent plus que le rire & le mépris que les incidens des Comédies produisent en nous.
Dorine l’aborde là-dessus ; mais à peine la voit-il, qu’il tire son mouchoir de sa poche, et le lui présente, sans la regarder, pour mettre sur son sein qu’elle a découvert, en lui disant que « les âmes pudiques par cette vue sont blessées, et que cela fait venir de coupables pensées ». […] Tel est le privilège de la Vérité produite par cette Vertu, le fondement et l’âme de toutes les autres Vertus. […] Cette forme est en général quelque motif de joie, et quelque matière de plaisir que notre âme trouve dans tout objet moral. […] Or comme la Raison produit dans l’âme une joie mêlée d’estime, le Ridicule y produit une joie mêlée de mépris ; parce que toute connaissance qui arrive à l’âme produit nécessairement dans l’entendement un sentiment d’estime ou de mépris, comme dans la volonté un mouvement d’amour ou de haine. […] Or ces premiers instants sont de grande considération dans ces manières, et font presque tout l’effet que ferait une extrême durée ; parce qu’ils rompent toujours la chaîne de la passion et le cours de l’imagination, qui doit tenir l’âme attachée dès le commencement jusqu’au bout d’une entreprise amoureuse, afin qu’elle réussisse : et parce que le sentiment du Ridicule, étant le plus froid de tous, amortit et éteint absolument cette agréable émotion et cette douce et bénigne chaleur qui doit animer l’âme dans ces occasions.
Il n’en est pas de même du bon esprit ; c’est par lui seul que le talent du bon Acteur s’étend & se plie à différens caractères : celui qui n’a que du sentiment ne joue bien que son propre rôle ; celui qui joint à l’âme, l’intelligence, l’imaginatien & l’étude, s’affecte & se pénètre de tous les caractères qu’il doit imiter ; jamais le même, & toujours ressemblant : ainsi l’âme, l’imagination, l’intelligence & l’étude doivent concourir à former un excellent Comédien. […] On raconte d’une Actrice célèbre, qu’un jour sa voix s’éteignit dans la Déclaration de Phèdre : elle eut l’art d’en profiter : on n’entendit plus que les accens d’une âme épuisée de sentiment.
Ne vous enquérez d’Isabelle, Si son âme divine et belle Etait de toute éternité : Si elle fut aussi savante, Toute sage et toute éloquente, Portraite en la divinité. […] Qu’elle aurait toujours la puissance Par une céleste influence, D’émailler de fleurs un Printemps, D’échauffer les signes de glaces, Par ses deux bessons, dont les grâces Dominent mon âme en tout temps. Ainsi de la voûte éthérée, Jusque dans le sein de Nérée, Pour ce grand miracle on sentait Un doux extase, une lumière, Qui tenait l’âme prisonnière, Des liens d’or qu’elle portait.