PREFACE DE L’AUTEUR Persuadé comme je le suis que rien n’a contribué davantage à corrompre notre siècle que les spectacles, je consacre volontiers quelques-unes de mes veilles à écrire sur ce sujet.
Pour lutter avec plus d’avantage contre le tourbillon de ces esprits légers pour qui le langagea de la religion est trop sublime, nous avons emprunté des armes, non seulement aux saints Pères et aux saints Docteurs de l’Eglise, mais encore aux incrédules des deux derniers siècles et aux auteurs dramatiques eux-mêmes.
Premièrement, entreprendre de détourner les hommes des divertissements mondains qui sont en usage depuis tant de siècles, et qui semblent avoir acquis un juste droit de prescription, c’est me rendre désagréable, ennuyeux, importun et odieux à mes auditeurs ; c’est vouloir sevrer les hommes des douceurs de la vie, douceurs auxquelles ils ont tant d’attachement, que, comme dit Tertullien (de Spectaculis, c. 2.), plusieurs refusaient de se faire chrétiens, plutôt par crainte d’être privés de ces passe-temps, que par crainte du martyre.
Leurs joies sont vaines et frivoles, et les vôtres seront solides et véritables ; l’objet de leur joie n’est que quelque chétive créature, et l’objet des vôtres sera le Créateur, vrai océan et abîme de tout bien ; leurs joies sont détrempées de mille amertumes, d’envie, de jalousie, de crainte, de défiance ou d’autre passion, les vôtres seront pures et sans aucun mélange d’aigreur ; leurs joies ne sont que pour quelques heures, quelques jours ou quelques années, les vôtres seront sans fin, sans pause et sans aucune diminution en toute l’étendue des siècles.
Ils ont écrit pour leur siècle, sans doute ; ils en ont consulté les mœurs et le goût ; c’est-à-dire, qu’ils ont pris dans l’opinion de leur siècle les moyens de l’affecter, de l’intéresser à leur gré. […] Rousseau me dise où est le mal, et en quoi le goût du siècle a nui aux mœurs du théâtre de Molière ? […] Encore en est-il bien dans le siècle où nous sommes. […] Voilà donc le personnage que Molière a voulu humilier, pour flatter le goût de son siècle. […] Si j’ai bien étudié les mœurs de notre siècle, le vrai moyen de les corriger serait le don de nous attendrir.
Ses Drames de la fin du siècle passé, ceux qui firent briller son Théâtre au commencement du siècle où nous sommes, & la plus grande partie des Pièces qui nous enchantent maintenant, ne sont guères consacrées aux bonnes mœurs, à l’amour de la vertu. […] Les vices du siècle ne doivent point rassurer les Auteurs de l’Opéra-Bouffon. Il est vrai que nous vivons dans un siècle corrompu, que les tableaux licencieux enchantent, séduisent ; mais il est encore des gens respectables qui prennent le parti de la modestie outragée, qui détestent tout ce qui est contraire aux bonnes mœurs.
Ce siècle fut fécond en établissement de troupes de Comédiens ; on en voit je ne sais combien se former, se dissiper, se réunir, se séparer, se disputer, se battre, plaider. […] On voit seulement trois siècles après la fête des Fous introduite dans quelques Eglises, qui semblait être un rejeton du théâtre. […] 2.° Les Confrères de la Passion ont été authentiquement établis et ont régné plusieurs siècles. […] Ces deux théâtres, depuis un siècle plus rivaux qu’amis, n’ont cherché qu’à se décrier et à se nuire.
Ainsi l’a décidé dès les premiers siècles le Pape S. […] Cependant on peut dire, pour justifier cette indulgence, que l’Eglise regarde de plus près aux qualités des Ministres qu’elle admet, que des Ministres déjà reçus, qu’un refus ne fait pas autant de tort qu’un châtiment, que la privation de tout privilège clérical est une plus grande punition que la simple exclusion, qu’on exclut pour de simples défauts de corps ou d’esprit, qui ne sont point de péchés, et que des bouffons, tels qu’ils étaient dans ce siècle, qui amusaient les passants dans les rues, étaient moins pernicieux et moins coupables que des Comédiens et Comédiennes de profession qui passent toute leur vie à exciter par toute sorte d’artifices les passions les plus criminelles : métier si opposé au christianisme, que d’autres canons appellent cette espèce d’hommes des apostats et des démons. […] Clément Pape, mais qui plus vrai semblablement est un ouvrage composé dans le troisième siècle : « Si Scenicus, sive vir, sive mulier, accedat ad baptismum, Gladiator, Auriga, Choraulus, Citharadus, Lyristor, Luctator, quicumque theatralibus lusis dat operam, desistat vel rejiciatur. » (L. […] Dans les premiers siècles, comme remarque Salvien, la rigueur et la précaution allaient jusqu’à faire promettre solennellement à tous les Catéchumènes, avant que de les baptiser, qu’ils n’iraient jamais à la comédie.
serviteurs de J.C. vous catéchumènes, qui désirez d’être bientôt unis à lui par le baptême, et vous chrétiens qui l’avez déjà confessé en participant à ses mystères ; apprenez par les régles de la foi, par les principes de la vérité, et par les lois de la discipline, l’obligation où vous êtes de renoncer au plaisir des spectacles, de même qu’aux autres folies du siècle. […] ce témoignage de l’antiquité ajoutons celui des siècles postérieurs, dans lequel nous découvrirons aussi clairement l’origine de nouveaux spectacles, par les titres qu’on leur a donnés. […] comme si ces spectacles n’étaient pas interdits dès qu’on nous interdit toute convoitise du siècle. […] Disciple de Jésus-Christ vous êtes trop délicat, si vous prétendez avoir du plaisir dans le siècle ; ou plutôt vous êtes insensé, si vous regardez la joie de ce monde comme un véritable plaisir. […] Quel plus grand plaisir, que l’éloignement du plaisir même ; que le mépris du siècle ; que la jouissance de la vraie liberté ; que le calme d’une bonne confiance ; que la sainteté de la vie, et l’exemption de la crainte de la mort ?
Térence et Virgile n’en sont pas quittes à meilleur compte avec ce saint Docteur, qui plaint les hommes de son siècle d’être réduits à puiser la pureté de leur langage dans ces sources empoisonnées ; quoique d’ailleurs il convienne que les paroles sont en elles-mêmes comme des vases riches et précieux ; mais qu’on boit souvent le vin corrompu dans ces coupes d’or. […] Comme nous cherchons tous deux la vérité, si le bon droit n’est pas de mon côté, j’aurai du moins la gloire d’avoir fait quelques vains efforts contre le premier athlète de mon siècle en satires et en raisonnements justes et solides.
Notre siècle s'attachant à des fables e à de vains amusements, ne prostitue pas seulement les oreilles et le cœur à la vanité ; mais il flatte aussi son oisiveté par les plaisirs des yeux et des oreilles ; et il allume le feu de l'impureté cherchant de toutes parts ce qui est propre à entretenir les vices.
Le carême, et tout le temps du jeûne étant consacré à la Prière, aux larmes, à la componction, à la tristesse, et à la crainte salutaire qui nous mène au salut, et aux joies éternelles par la privation des fausses joies de ce siècle, les Conciles, et les Pères ont toujours insisté sur cette maxime, qu'il en fallait exclure les spectacles quand même ils seraient innocents.
« Je veux bien, dit d’Aubignac, qu’en cet endroit, saint Thomas parle des histrions au sens des derniers siècles, et qu’il comprenne sous ce nom les acteurs des poèmes dramatiques ; Car, si l’on n’entendait par ce terme que les Mimes et les Farceurs, son autorité serait encore plus avantageuse aux autres, que l’on ne pourrait pas condamner contre la résolution de ce grand Théologien, qui serait favorable à ceux-là même que les Grecs méprisaient, que les Romains tenaient infâmes, et que jamais on ne leur doit comparer. »
Quand on n’aurait pas à imputer à un auteur d’une tragédie tous les mauvais sentiments qu’il étale, il y a des affectations qui découvrent ce qu’on doit mettre sur son compte. » Il n’arrive que trop souvent qu’ils emploient, sans détour, le langage de l’impiété ; il faut des traits hardis pour réveiller l’attention, et pour flatter le goût peu chrétien du siècle.
Quoique ce Poète n’ait point écrit de Comédies, nous pouvons néanmoins l’admettre pour Juge au regard de l’usage et de l’opinion générale de son siècle touchant le Sacerdoce. […] Voilà tous les Prêtres dont Homère fait mention : quels égards n’a-t-il point pour eux, conformément à la haute idée que son siècle en concevait ? […] La Religion n’est point une matière aux divertissements du siècle. […] Puisqu’une telle représentation est un abus accordé par force à la dureté du siècle, et que le lieu où elle se fait est un lieu profane, elle ne saurait être excusable, quelques mesures que l’on prenne. […] Cette vérité est si constante que tous les siècles et toutes les nations semblent fournir à l’envi des témoignages pour l’attester.
Mais, ô mon âme, garde toi de l'impureté; Mets-toi sous la protection de mon Dieu, du Dieu de nos Pères, qui doit être loué et glorifié dans l'éternité des siècles. […] Bienheureux donc est l'homme qui met son espérance dans le nom du Seigneur, et qui n'a nul égard aux vanités, et aux folies trompeuses du siècle. […] Comment faut-il donc, mes frères, que nous traitions ces personnes qui sortent ainsi du dérèglement, et qui renoncent aux plaisirs du siècle ?
Si je ne fais remonter ici l’origine de l’Opéra-Bouffon qu’au commencement du siècle passé, il n’en faudra pas conclure qu’il ne puisse se glorifier d’une antiquité plus reculée. […] Il parut vouloir, au commencement du siècle où nous sommes, se retirer de la crapule dans laquelle il languissait, & se corriger de ses plaisanteries, dont la Vertu rougissait souvent.
On se plaît dans ce siècle singulier à contempler des objets vils & méprisables : Que la Nature donc soit votre étude unique. […] Chez les Grecs & les Latins celui qui se destinait à charmer son Siècle & la Postérité, par des Ouvrages de génie, étudiait les mœurs des hommes, non-seulement dans les Livres, mais en parcourant différentes Contrées.
Cette pièce réformée porterait le nom du Réformateur jusqu’à ce qu’elle fût elle-même un jour réformée quelques années après sa mort ; il est aisé de voir que les ouvrages excellents ne périraient pas faute de quelques retranchements et de quelques additions nécessaires pour les rendre aussi beaux et plus utiles dans le siècle suivant qu’ils l’étaient dans le siècle précédant ; car il faut toujours faire en sorte que les spectacles se perfectionnent à mesure que la raison humaine se perfectionne, et la meilleure manière d’avancer beaucoup en peu de temps vers la perfection, c’est de se servir de ce qu’il y a de bon dans les ouvrages des morts, en diminuant ou corrigeant ce qu’il y a de défectueux, et en embellissant ce qu’il y a de beau.
On trouvera peut-être que je décide trop hardiment une question qui occupe & qui divise depuis tant de siècles la plus-part des Savans, & tous les Musiciens.
Autant vaudrait la manie de ces Auteurs du siècle passé, qui vous décrivaient tout un Palais & ses Jardins, sans oublier le moindre fronton, ni le moindre arbuste.
Ces Fables néanmoins furent jouées dans Rome assez longtemps avant les Poèmes Dramatiques dont l'art ne fut connu du peuple Romain qu'au siècle de Plaute et de Névius, environ cent cinquante ans après les Jeux Scéniques, quand la Comédie et la Tragédie y fut reçue, qui sont la seconde et la troisième espèce des représentations honnêtes, qui furent depuis ajoutées à la pompe des Jeux publics.
p : pendant que les lois du siècle qui ne peuvent pas déraciner tous les maux permettaient l’usure et le divorce, ces grands hommes disaient hautement que si le monde permettait ces crimes, ils n’en étaient pas moins réprouvés par la loi de l’Evangile : que l’usure qu’on appelait légitime, parce qu’elle était autorisée par les lois romaines, ne l’était pas selon celles de Jésus-Christ, et que les lois de la cité sainte et celles du monde étaient différentes.
Je sais bien que ce jeu forcé plaît, & que nous sommes dans un siècle où il est impossible qu’il ne prenne pas ; mais il n’est pas naturel. […] Les grands hommes sont les mêmes dans tous les siècles ; ils n’ont pas besoin, pour être vénérables, d’être vus dans l’éloignement. […] Oui, si j’avais à choisir de tous les siècles passés, je l’avoue bonnement, il n’en est aucun que je préférasse au nôtre : je ne suis pas un seul jour sans me féliciter, d’exister dans un siècle éclairé, de vivre dans un Royaume gouverné par les loix les plus sages & les plus modérées ; dans un pays ou l’humanité respectée, offre des nuances dans les conditions, mais l’égalité dans l’espèce. […] Qu’on juge s’il sera rare de trouver de bons Acteurs, dans notre siècle, en France, à Paris ! […] Dans le siècle des Achilles qui se vengeaient eux-mêmes, on n’avait pas encore rafiné jusqu’à punir davantage par la honte du supplice, que par la perte de la vie.
Vous en appelleriez à vos Casuistes, qui prétendent qu’on doit moins s’arrêter à ces bons Docteurs, pour ce qui est de la Morale, qu’à vos nouveaux Auteurs qui ont mieux connu qu’eux le génie de ces derniers siècles.
Ne le croyez pas, Proselyte, c’est un trompeur, ou un phénix du siècle ; de croire que ce soit un phénix, j’ai de la peine, dites donc que c’est un trompeur ; mais non, je suppose qu’il dit vrai, et que jamais sa chasteté n’a été blessée, en oyant les comédies, qui est-ce toutefois qui peut l’assurer qu’il sera toujours le vainqueur ?
Il a fait voir à notre siècle le fruit qu’on peut espérer de la morale du théâtre qui n’attaque que le ridicule du monde, en lui laissant cependant toute sa corruption.
« Qui peut mieux nous en convaincre que la dissolution générale de notre siècle ?
Sans chercher une époque plus éloignée, tout le monde sait que, depuis l’Empire des Perses jusqu’aux derniers temps de l’Empire Romain, et dans les premiers siècles du Christianisme, la profession de Danseuse et de Chanteuse n’était exercée que par des filles de mauvaises mœurs : aussi voit-on que les Chanteuses et les Danseuses étaient au même rang que les Courtisanes.
On n’en voit pas davantage dans celles des 8e et 13e siècles, quand les septième et douzième conciles généraux défendaient aux fidèles d’y assister et que St. […] Si on parlait ainsi du théâtre du siècle de Louis XIV, où trouver les expressions pour flétrir le théâtre de nos jours ? […] Si le théâtre du siècle passé n’est pas à l’abri de tout reproche, au moins s’était-il renfermé dans certaines limites : en est-il de même de notre théâtre moderne, où tous les crimes et toutes les immoralités sont présentées avec une crudité plutôt repoussante que dangereuse ? […] Encore quelques années et vous serez si contentes, si heureuses d’avoir résisté à toutes les sollicitations du siècle.
C. ne veut pas dès Prédicateurs en brodequins qui ayent des mouches & du fard sur le visage ; la tragédie fait revivre les anciens crimes, on les tire de dessous le tombeau, on apprend à notre siècle des impuretés auxquelles il n’auroit peut-être jamais pensé ; l’on fait des exemples des crimes qui n’existent plus. […] C’est sans doute pour entrer dans le goût de son siècle que Thomas Corneille fait jouer à Ariane un rôle qui n’est guére plus décent ; car enfin que ne fait-elle point pour retenir Thesée ? […] Je défie de déviner l’un des crimes atroces qu’elle leur impute ; c’est qu’aucun ne pouvoit souffrir le jeu, le bal, le spectacle ; je ne sais de quel Historien elle a tiré ce fait si intéressant, les grands événemens de ce siècle ont trop occupé leur plume pour s’embarrasser de la comédie ; & ces hommes célèbres eux-mêmes s’en occupoient trop pour perdre le temps à ces frivolités, ni avoir aucun goût pour elles, le théatre étoit dès-lors inconnu en Hollande, où on ne pensoit qu’à établir la république & le commerce ; elle ne faisoit que de naître en Angleterre & en France où on n’avoit encore vu que les confrères de la passion. […] L’Auteur des trois siècles qui ne loue pas aisément, a pourtant fait un grand éloge de cette Dame & de ses Journées ; c’est sans doute par ce principe de galanterie.
Qu’on nous donne des piéces que les oreilles chrétiennes puissent entendre : qu’on les représente avec la décence qui convient à des chrétiens : que la vertu y soit peinte avec les graces, le vice avec les traits qui leur sont propres ; on ramenera les spectacles à la fin de leur première institution, & les Loix n’auront plus à condamner des abus qui deshonorent notre siècle, qui font gémir la Religion & la pudeur. […] L’on est tout étonné d’apprendre, dit l’Auteur du Dictionnaire du Droit Canonique, que nos Comédiens François d’aujourd’hui n’ont succédé qu’à des farceurs, qui au commencement du dernier siècle représentoient toujours des scènes pieuses, telles que la passion de Jesus-Christ, sa naissance, &c.
Nos intérêts nous sont toujours plus chers que ceux d’autrui, et je suis si fort persuadé qu’il est fort peu de gens, dans le siècle où nous sommes, qui n’aidassent au débrisc de leurs plus proches voisins, s’il leur devenait utile ou profitable, que les coups les plus injustes et les plus inhumains ne me surprennent plus. […] Nous sommes dans un siècle où les hommes se portent assez d’eux-mêmes au mal, sans avoir besoin qu’on leur explique nettement ce qui peut en avoir quelque apparence.
Le siècle, l’enfer, et le sang ont fait à l’envi à qui donnerait plus de traverses à ma résolution, le siècle m'a offert des maris, l’enfer des richesses, et mes propres parents sont ceux qui me tourmentent davantage pour me faire prendre parti dans le monde, je leur ai ouvert mon désir qui est d’être Religieuse, ils m’y veulent si peu aider qu’ils ont juré de s’y opposer et ils tâchent de m’en distraire par toute sorte d’artifices : la dernière ancre de mon espérance est en votre Royale bonté Madame, si elle me manque je ne puis attendre que le naufrage de ma sainte et juste prétention.
« Le théâtre est contraire à ces vœux solennels Qu’un chrétien, en naissant, fait au pied des autelsaz. » « Depuis qu’un Dieu fait homme est venu nous apprendre à mortifier nos sens, à combattre nos passions ; depuis que l’Eglise nous a fait promettre de mourir au monde et à ses pompes, à la chair et à ses désirs, à Satan et à ses œuvres ; depuis que l’Evangile, toujours ouvert et toujours expliqué, ne prêche partout que le renoncement aux joies et aux vanités du siècle, il semble que des chrétiens ne devraient pas attendre, pour se déclarer contre les spectacles, qu’on les y contraignît, mais y renoncer d’eux-mêmes et les condamner hautement. […] Un chrétien est un homme qui, renonçant du fond de son cœur à tout ce qui flatte les sens, ne doit s’occuper qu’à les mortifier ; qui, ayant fait, comme le saint homme Job, un pacte avec ses yeux, pour ne point les arrêter sur aucun objet qui puisse corrompre la pureté de son âme, doit vivre en ange dans la maison d’argile qu’il habite : un chrétien est un homme dont les oreilles ne doivent entendre que ce qui est bon et édifiant ; qui, tout céleste dans ses pensées, tout spirituel dans ses actions, ne vit que selon Dieu et pour Dieu : un chrétien est un disciple de Jésus-Christ, qui, tout occupé de ce divin modèle, doit le retracer en lui tout entier ; qui adopte la croix pour son partage, qui goûte une vraie joie et une vraie consolation dans les larmes de la pénitence ; qui, toujours armé du glaive de la mortification, pour soumettre la chair à l’esprit, doit combattre sans cesse ses inclinations, réprimer ses penchants : un chrétien est un homme qui, convaincu que tout ce qui est dans le monde n’est, comme le dit saint Jean, que concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et orgueil de la vie, ne voit dans ces assemblées que périls, dans ces plaisirs que crimes ; et qui, en marchant à travers les créatures, doit craindre d’en être souillé : un chrétien est un homme mort au monde, mort à lui-même, et aussi différent des enfants du siècle que la lumière l’est des ténèbres ; enfin, un chrétien est un autre Jésus-Christ qui le représente, qui l’imite dans toutes ses actions, qui pense comme lui, qui non-seulement s’est engagé à marcher sur ses traces, mais qui a encore juré de ne jamais s’en écarter ; voilà ce que c’est qu’un chrétien.
Mais tel est le goût qu’il faut flatter sur la scène ; telles sont les mœurs d’un siècle instruit. […] Alceste, dans cette pièce, est un homme droit, sincère, estimable, un véritable homme de bien qui déteste les mœurs de son siècle et la méchanceté de ses contemporains, qui, précisément parce qu’il aime ses semblables, hait en eux les maux qu’ils se font réciproquement, et les vices dont les maux sont l’ouvrage. […] dites-nous donc, depuis plus d’un siècle que nous prenons de vos leçons, avons-nous fait bien des progrès dans le chemin de la vertu ?
C’est dommage que les Apôtres, les Pères de l’Eglise, les saints Missionnaires, les Magistrats, les Avocats de tous les siècles, n’aient pas connu cette sainte et savante école ; ils y seraient devenus d’éloquents Orateurs, et quel progrès n’auraient pas fait la religion et la jurisprudence sous de si heureux auspices ! […] Bertier, le Varron de notre siècle, a donné un fort bon extrait (Avril 1753.). […] Il était réservé à notre siècle de voir de semblables horreurs, et à la Société de les enfanter, etc. » Ce n’est pas à nous assurément à entrer dans les affaires des Jésuites ; nous ne rapportons ce morceau que pour faire voir ce que les Magistrats pensent de la comédie, même des collèges, combien ils la croient opposée au respect dû à la religion, à la pratique des vertus chrétiennes, et à la bonne éducation de la jeunesse.
Lorsque je me hasarderai de proposer mon sentiment, je croirai que le goût de mon siècle éxige que je prenne cette liberté ; ou bien ce sera pour rapporter plus au long tout ce qui concerne un article intéressant.
Elle y verra d’abord quel était le goût du dix-huitième Siècle ; nos mœurs, notre façon de penser lui seront connues.
Des deux réflexions qui composent la dernière partie, on n’aurait point vu la plupart de la dernière, et l’Auteur n’aurait fait que la proposer sans la prouver, s’il en avait été cru, parce qu’elle lui semble trop spéculative, mais il n’a pas été le maître : toutefois, comme il se défie extrêmement de la délicatesse des esprits du siècle, qui se rebutent à la moindre apparence de dogme, il n’a pu s’empêcher d’avertir dans le lieu même, comme on verra, ceux qui n’aiment pas le raisonnement, qu’ils n’ont que faire de passer outre.
Boursault (Edme), né en 1638, mort en 1701, homme de lettres distingué, protégé par Louis XIV, et qui fut honoré de l’amitié de Thomas Corneille, disait : « Dans ce siècle corrompu, la comédie est un divertissement, et un spectacle qui peut s’allier avec la dévotion ».
Tout cela n’est que vanité, dont vous devez prier Dieu avec le Prophète de détourner vos yeux : « Averte oculos meos, ne videant vanitatem. » Celui qui marche dans la voie de Dieu, n’estime, n’aime point les vanités du siècle : comment daignerait-il les regarder ? […] 1.), où par l’exemple d’Abraham, à qui Dieu fit quitter son pays, de Loth, que les Anges obligèrent de sortir de Sodome, de Moïse, qui s’éloigna de l’Egypte, des Apôtres, qui abandonnèrent leur famille pour suivre Jésus-Christ, il prouve combien nous devons soigneusement éviter les dangers infinis du vice, qui se trouvent sur tous nos pas dans le siècle.
Le Philosophe immortel qui fait tant d’honneur à notre siècle, rira de mon sentiment : sans ôser combattre ce grand homme, je vais proposer mes idées ; s’il trouve que je sois dans l’erreur, il daignera me faire grâce ; il sait trop que les malheureux humains sont sujets à se tromper. […] André Destouches fit les délices du siècle éclairé de Louis XIV. […] Rameau ne fait-il pas honneur au siècle où il vivait, à sa patrie & à l’art enchanteur qu’il perfectionna en partie ?
… Il ne m’appartient pas de médire de mon siècle. […] Une Pièce qui connive au mauvais goût de son siècle, ne fronde que le vice & les ridicules qui déplaisent, caresse celui qu’on aime, est une Pièce dangereuse. […] Ces Pièces, ou plutôt ces jolis colifichets, par qui le vice est peigné, fleuri, ne sont rien moins que propres à en inspirer de l’horreur, dans un siècle où le plaisir conduit doucement au Vice sur le palanquin de l’Indolence.
Quoique par une émulation assez déplacée de la scène Française, et par une conduite de courtisan, qu'on n'exigeait pas, qui se conforme en tout au goût du Prince, le théâtre ait fait chez les Jésuites depuis le milieu du dernier siècle les plus grands progrès, il y date de bien plus haut. […] Eh bien, dites-nous donc depuis plus d'un siècle que nous prenons de vos leçons, avons-nous fait bien des progrès dans la vertu ? […] » Ce pompeux panégyrique du théâtre est bon à faire à quelqu’un qui ne l'a jamais vu ; il fait rire ceux qui le connaissent, si l'enthousiasme ne leur met sur les yeux un verre coloré. « Lorsque Julien (on l'a appelé l’Apostat dans tout l'univers pendant quatorze siècles, il a cessé de l'être depuis que toutes les religions sont indifférentes) défendit aux premiers Chrétiens d'enseigner les lettres humaines, et à la jeunesse de les étudier ailleurs que dans les écoles payennes, (les jeunes gens eurent toujours la liberté d'apprendre ce qu'ils voulurent, il n'y eut que les Régents Chrétiens interdits.
Ma sœur, il ne manque peut-être à plusieurs que le goût du travail : notre siècle est celui de la paresse ; ce vice gagne tous les états : on veut jouir tout-d’un-coup, & se reposer avant de s’être lassé.
Je sais que, depuis quelques siècles et presque depuis l’établissement du Théâtre moderne, tout ce qui a été écrit, soit pour blâmer les Spectacles en général, ou pour les corriger, n’a pas été favorablement reçu du Public : et que c’est une entreprise qui a toujours essuyé les plus vives contradictions : je ne serais donc pas surpris de voir le Lecteur indisposé contre moi sur le seul titre de mon Livre.
C’est là, je pense, une des principales causes qui, dans les premiers siècles du Christianisme, a engagé les Pères de l’Eglise à proscrire le Théâtre des Payens ; et c’est peut-être par la même raison que de nos jours les personnes pieuses se font un devoir de s’abstenir du Théâtre, et même de le condamner.
Comme il n’y a point eu de siècle plus fécond en bien et en mal que celui où nous vivons, il n’y en a point eu aussi où l’on ait tant fait valoir les bonnes et les mauvaises choses. […] On voit donc que la doctrine des Pères se soutient également dans tous les siècles, et que le Théologien les accorde aussi mal à propos qu’il les oppose les uns aux autres. […] Chacune d’elles prendra parti suivant son zèle, ou suivant le goût du siècle. […] un jeune homme qui n’a que des sens, sera présent à des Spectacles où la pompe du siècle est étalée, et où le sensible agit selon toute sa délicatesse et toute sa force, sans augmenter son esclavage !
Jean appelle,22 « la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, et l’outrecuidance de la vie, ce qui n’est point du Père mais du monde », autrement, leur métier ne vaudrait rien, en la corruption du siècle : et s’ils ne disaient que de bonnes choses, ils pourraient bien fermer leur boutique. […] Comme si, disait-il, il n’y avait pas abondamment de quoi les rédarguer, quand les convoitises de ce siècle sont condamnées. […] L’horreur antique est répété par une action exprimée à l’image de la vérité, afin que ce qui a jadis été commis, ne s’abolisse avec le siècle. […] » Ailleurs aussi Dieu leur reproche d’avoir mal pris leurs temps, et montré qu’il n’y a rien qui lui déplaise tant, que quand les hommes sont insensibles à ses châtiments, et qu’au lieu de s’humilier devant Dieu, ils se jettent dedans les plaisirs de ce siècle […] D’où vient qu’à la façon des autres hommes nous n’avons pas les causes de notre corruption, dans les attraits et allèchements qu’apportent les biens de ce siècle ; mais nous les avons ès cœurs : et notre entendement est notre débauche, tellement que ce que nous péchons et ne nous amendons point, ne vient que de notre inclination au malgq, non de ce que nos biens ne nous ont pas été ôtés.
Je réserve à un autre lieu la dignité de ses louanges, et reviens à la plainte que nous devons faire pour les Comiques qu’on accuse de faire revivre les anciennes dissolutions, qui sont bannies des Comédies de ce siècle, qui n’ont rien que le nom, commun à celles du passé : Celle-ci traitée par gens doctes, et savants, se doit plutôt appeller école de modestie et gentillesse, que lieu de honte : C’est pourquoi nos Juges nous les permettent ; nos Pasteurs ne nous le commandent pas, désirant s’il était possible qu’à l’imitation d’un nombre d’âmes, qui dès la terre vivent au Ciel, nous voulussions dénoncer la guerre aux plaisirs du monde, et nous donnant du tout à la contemplation, tirer de l’amertume de nos fautes, ces larmes de douceur qui attachent nos paupières, et nous font unir les jours et les nuits ensemble, souhaitant après saint Paul, notre séparation pour Jésus Christ, et comme dit Eudoxe, mourir et voir le Soleil. […] La prudence guide vos discours, et la sagesse qui reluit en vos actions, a satisfait nos désirs, et surmonté les espérances que la gloire du passé nous faisait attendre à l’avenir, de cette rare Isabelle, honneur de son sexe, regret des siècles passés, gloire du présent, envie des futurs, ornement de la terre, Merveille du ciel, miracle de nature, Temple sacré : qui ouvrant ses lèvres de roses nous fait voir les images de l’âme, la douce prison des nôtres, les liens de nos esprits, où elle inspire les passions qu’elle désire : Mais quels sont ses désirs ?