Alexandre VI, dont la mémoire doit être en horreur à tout vrai Catholique Romain, dévorait en espérance la succession du Cardinal Adrien Cornetto, le plus riche des Prélats ; (il avait des coffres remplis d’or) mais comme ce Vieillard vénérable vivait trop longtems à son gré, il résolut de l’empoisonner de concert avec son Fils César Borgia, qu’il avait eu étant Cardinal, de Vanota, Femme de Dominique Arimano. […] Ce n’est pas qu’il ne fut mort assez âgé ; mais comme il était incomparable en son Art, il était digne de vivre toujours. […] De là vient qu’il n’est pas non plus défendu de vivre de cet Art. […] On dit qu’il devint enragé & hors de sens [calomnie atroce] mais Mr du Tillet dit fort judicieusement, que c’était les Prêtres qui avaient fait courir ce bruit, crainte que cette action ne passât en habitude à ses Successeurs ; mais que pour lui, il ne peut blâmer cette action, en disant que les Reliques avaient été souvent vendues pour subvenir à la nécessité des Pauvres dans des temps désastreux, & que si ces Saints vivaient, il ne doutait pas qu’ils ne se vendissent pour soulager les malheureux. […] Tant que ce Roi vécut, ils jouirent sous sa protection d’un entier repos, & travaillèrent avec tant de succès à l’établissement de leur Ville, que lorsqu’il mourut, ils se virent en état de causer de la jalousie à leurs voisins, ce qui leur attira plusieurs guerres qu’ils terminèrent heureusement.
Ne vaut-il pas mieux que les sujets d’un Monarque bien aimé vivent dans une parfaite sécurité, fruit de la confiance et du respect qu’ils ont pour ce Monarque, que s’ils éprouvaient l’inquiétude perpétuelle qu’on pourrait leur inspirer sur le sort de la Patrie en tournant en ridicule les gens d’Etat, en leur suggérant l’impatience et le dépit de ne pouvoir donner leur avis au Conseil, et le désir indiscret de faire éclater inutilement leur aveugle et fougueux Patriotisme : ils seraient meilleurs Citoyens dans l’âme, mais l’Etat en serait peut-être plus mal gouverné, surtout si le Monarque trop complaisant daignait faire trop d’attention à leurs criailleries. […] Nos Pères sur ce point étaient gens bien sensés, Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez Quand la capacité de son esprit se hausse A connaître un pourpoint d’avec un haut de chausse : Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien ; Leurs ménages étaient tout leur docte entretien ; Et leurs livres, un dé, du fil et des aiguilles Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles. […] Comment donc faire pour tuer le monde et le laisser vivre ?
On l’a fait vivre jusque-là.
Bientôt les gens de qualité & les riches, ne purent vivre décemment sans avoir dans une petite maison une Actrice à leurs gages.
Enfin, l’Evangile établit cette différence essentielle entre les Disciples de Jesus-Christ & les Partisans du monde : ceux-ci se rejouissent, & les Chrétiens vivent dans la tristesse ; pleurons, dit le même Pere2, tandis que les Payens se recréent, afin que nous ayons droit de nous rejouir, lorsqu’ils seront plongés dans la tristesse.