On pourra nier cette conséquence et dire qu’il y avait un milieu entre s’acquitter de tous les devoirs que la religion et les autres vertus prescrivent, et s’abandonner aux désordres de la dernière école, se vautrer dans la fange du vice ; qu’il était possible de garder la pureté de son âme, de rester attaché de cœur aux principes, à la sagesse, à la piété, aux mœurs ; qu’il suffisait, pour éviter la persécution, de s’abstenir des vertus pratiques, en s’isolant des deux partis, en fuyant également les disciples des écoles qui étaient aux prises, et leurs errements, ou leurs exercices et habitudes, etc. […] Si dénaturer et embellir les couleurs qui sont propres aux vices, ou flatter les traits des personnages immoraux et criminels en les représentant aimables et séduisants, comme le font beaucoup d’autres auteurs, est un moyen infaillible de corruption, l’excès contraire est aussi très-funeste. […] C’est donc incontestablement les vices que les criticomanes dramatiques, auxquels on peut joindre l’action plus lente d’auxiliaires romanciers, ont perfectionnés par leurs inventions ingénieuses, par leurs tableaux superbes et savants d’événements aussi rares qu’odieux. […] On a dit dès lors à peu près comme on dit aujourd’hui en leur faveur, que les ouvrages dramatiques sont la plus précieuse, la plus salutaire, la plus substantielle nourriture qu’on puisse donner à notre âme et à notre esprit ; qu’on trouve dans leur recueil un cours complet de morale, les tableaux touchants des plus sublimes vertus, la peinture fidèle des mœurs, les observations les plus profondes sur les faiblesses humaines, les travers et les vices combattus avec l’arme du ridicule par des satires sanglantes ; les grands hommes ressuscités avec leur caractère, et leurs formes imposantes. […] Je dois avouer que j’ai quelquefois éprouvé aussi une grande satisfaction à voir foudroyer le vice sur le théâtre.
: « L’Apôtre, dit-il, exclut trois vices, tria vitia excludit : la saleté, turpitudinem : qui se trouve : in tactibus turpibus et amplexibus et osculis libidinosis », car c’est ainsi qu’il l’explique : « les folles paroles, stultiloquium : c’est-à-dire, continue-t-il, celles qui provoquent au mal, verba provocantia ad malum : et enfin les bouffonneries, scurrilitatem, c’est-à-dire, poursuit saint Thomas, les paroles de plaisanterie, par lesquelles on veut plaire aux autres » : et contre lesquelles il allègue ces paroles de Jésus-Christ en Saint Matthieu : Math. […] « On rendra compte à Dieu de toute parole oiseuse : id est, verbum joculatorium per quod volunt inde placere aliis : de omni verbo otioso, etc. » Il compte donc manifestement ces trois choses parmi les vices, tria vitia, et reconnaît un vice ou une malice particulière dans les paroles, « par lesquelles on veut plaire aux autres » et les faire rire, distincte de celle des paroles qui portent au mal ; ce qui bannit manifestement la bouffonnerie, ou pour parler plus précisément la plaisanterie, du milieu des chrétiens, comme une action légère, indécente, en tout cas oisive selon Saint Thomas, et indigne de la gravité des mœurs chrétiennes.
L’injustice de déshonorer et avilir une profession par des critiques ou satires vagues est d’autant plus grande que le vice ou la corruption n’est pas attachée particulièrement à tel ou tel état, qu’elle appartient aux personnes, ou aux mœurs, au siècle, en un mot, et que tous les états recèlent dans la même proportion, à peu-près, des hypocrites et des fripons. […] Voici un autre exemple qui rend encore plus palpable l’inutilité et les dangers de jouer ou attaquer confusément le vice dans une corporation. […] Elle aurait encore l’effet salutaire de pouvoir peu à peu s’étendre à la foule immorale des particuliers inattaquables autrement, des parasites et làches complaisants qui flattent les vices, qui fréquentent et caressent les fripons heureux qu’ils encouragent, dont ils soutiennent l’impudence, par qui le crime est sciemment plus honoré, mieux défendu que l’innocence même. […] Cet éloignement, ce mépris des heureux scélérats, ou cette indirecte et irrépréhensible censure des chefs de file des vices et des honteuses industries, si elle pouvait être ramenée par ce moyen, avec la maxime oubliée, dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es, deviendrait un des plus puissants ressorts de l’amélioration. […] D’où il arrive, confirmativement parlant, que, loin de contrarier les mauvais penchants naturels ou acquis de la multitude, et viser à les corriger, comme ils s’y engagent, les auteurs, pour être applaudis et admis, les flattent, les favorisent, et par là fortifient les vices et propagent la corruption.
Les anciennes diableries donnoient horreur du vice, en le montrant puni par les démons ; les nouvelles au contraire favorisent, inspirent, embellissent le vice, par les graces des actrices, les agrémens de la poësie, les charmes de la musique, la lubricité de la danse, l’obcénité des décoration, le scandale de l’intrigue & du succès. […] Ainsi la scène fait un double mal, elle embellit la fausse religion, le paganisme, c’est-à-dire, le vice, & défigure la vraie, le Christianisme, c’est-à-dire, la vertu. […] Le vice lui doit ses progrès, le démon son empire, & les ames leur perte éternelle. […] Mais on s’est trompé : ce n’est pas seulement l’idolâtrie, c’est encore la dangereuse représentation du crime, les leçons du vice, l’apologie des passions, les occasions du péché.
Le monde à ses vices, & Dieu a ses perfections. […] Il n’a du goût que pour le vice. […] Est-ce la vertu, est-ce le vice qui se montre sous ce riche appareil ? Que le vice & la vertu prononcent à qui elle appartient. […] N’est-ce point là le germe, l’instrument des vices, & lui-même un grand vice ?