On y doit mettre la vertu dans le plus beau jour, et l’élever par les plus grands éloges pour la faire pratiquer. […] La Comédie, selon lui, est donc moins un divertissement qu’une école de vertu et de crainte salutaire. […] Les Bouffons promettaient d’exterminer le vice à force de le représenter dans leurs Comédies : et les sérieux promettaient de faire vivre la vertu à force d’en faire voir l’éclat dans leurs pompeuses Tragédies : tous aveugles qui ne voyaient pas que le vice leur était devenu naturel, et que la vertu n’était pas à leur portée. […] Aussi le vice inonda-t-il la Terre de plus en plus : et ce qu’on y appelait vertu ne fut-il jamais qu’une pure ostentation. […] Et quel scrupule se peut-on faire d’aller chercher de l’horreur pour le vice, et de l’amour pour la vertu, s’il est vrai que la Comédie inspire l’une et l’autre ?
[Discours sur les spectacles] Si, comme dans les siècles de barbarie du moyen âge, et lorsque les prêtres eux-mêmes étaient comédiens, le spectacle se composait de représentations obscènes toujours propres à fomenter le vice et à faire rougir la vertu, nous ne viendrions point dans la chaire de vérité le défendre contre ses détracteurs. […] Lisez les premières vous y trouverez des leçons de volupté et de débauche ; parcourez les secondes, vous y verrez le vice flétri et la vertu exaltée. […] D’ailleurs, si la légèreté d’une expression, ou le peu de convenance d’une posture, vous ont blessé quelquefois, que de fois aussi vous vous êtes senti un attrait irrésistible pour la vertu en entendant des voix éloquentes stigmatiser le vice ? […] qu’elle était puissante pour la vertu la voix de cet homme qu’un prélat voulut convertir parce qu’il était acteur, et dont le grand homme disait qu’il l’aurait décoré s’il n’eût pas craint les sots préjugésb. […] Mes frères, depuis longtemps les lumières et la civilisation ont fait justice de cette barbarie du fanatisme qui voue à l’enfer, des hommes, qui comme tous les autres, ont droit à notre estime, quand ils se recommandent par leurs vertus.
Le crédit de la vertu approche t-il de celui des passions ? […] Les principes de vertu semés de bonne heure dans son cœur, furent le germe qui opéra dans la suite les fruits d’un retour sincere qui termina sa carriere. […] Ils se sont gloire d’imiter Racine dans ses écarts ; que ne l’imitent-ils dans ses vertus ! […] Il lui fait bien plus d’honneur, parce qu’aux yeux du Souverain, & seul juste estimateur du mérite, les moindres œuvres de vertu sont plus prétieuses que les plus beaux chef-d’œuvres du vice. […] La vertu de cet Abbé qui se prêtoit à tout, il fit des vers licencieux pour & contre la favorite, il la décria pour plaire à ses ennemis, il la chanta pour lui plaire.
Si le Héros que l’on représente sur le Théâtre, n’a une grande vertu, on n’est que médiocrement touché de ses infortunes ; la vertu affligée excite cette pitié tendre, qui fait le plaisir le plus délicat de la Tragédie ; mais si le Héros tombe dans la disgrâce par sa faute, ou par son imprudence, ou après avoir commis quelque mauvaise action, on se sent indigné contre ses vices, et peu attendri de ses maux : La punition d’un méchant homme est une chose ordinaire, qui n’excite pas de grands sentiments. […] Ces punitions excitent la pitié, parce que toutes ces personnes avaient d’autres bonnes qualités, et des vertus, qui leur affectionnaient le spectateur ; mais si le Héros est absolument vicieux, il faut que la punition de ses vices soit telle, qu’elle imprime beaucoup de terreur. Puisque la Tragédie est une instruction pour porter les hommes à la vertu, et pour les détourner des vices ; la règle générale est que la vertu soit récompensée, et le crime puni. […] La qualité des personnes qui souffrent, leurs vertus, leur sexe, leur âge, les dispositions de ceux qui les font souffrir, la nature des peines qu’elles endurent ; tout cela peut beaucoup contribuer à exciter la compassion. […] La Comédie a été inventée pour rendre le vice odieux, et pour faire aimer la vertu ; pour contenir les méchants par la terreur des supplices ; pour porter les hommes à la vertu, par l’espérance de la gloire, et des récompenses qui y sont attachées.
Comme ces vrais disciples de Jésus-Christ, vous devez éviter les spectacles de nos jours, qui sont, sans contredit, plus funestes à la vertu que ceux du paganisme. Si on n’y adore plus les faux dieux, on y divinise les vices les plus honteux, on leur donne le coloris des vertus les plus sublimes ; on y avilit, on y dégrade les vertus les plus sublimes en leur faisant jouer des personnages gothiques et ridicules. […] Les comédiens ne pouvant être revêtus que d’une sainteté romanesque, sont incapables d’exprimer et de persuader les vertus héroïques des saints : il ne sied point à des comédiennes de prêcher la modestie et la décence et de représenter l’innocence des vierges.