un faux Philosophe rempli de lui-même, qui se complaît dans le mérite sauvage de détester l’humanité ; mais qui ne la déteste que sur des vains prétextes, et qui ne reproche à son siècle que des défauts superficiels, plus intéressants pour la société que pour les mœurs. […] A l’analyse qu’en fait M.F. on ne croirait pas, si on ne la connaissait, que sous le vain prétexte de réprimer la mauvaise foi et la séduction, elle fournit à chaque pas des armes à l’impureté ; qu’elle en fait des images si séduisantes, que les gradations en sont si imperceptibles et si adroites, ses progrès si rapides, qu’elle est toute entière dans les cœurs, avant qu’on l’ait, pour ainsi dire, sentie s’y introduire ; en un mot qu’elle porte à chaque phrase l’esprit, malgré lui-même, sur des idées sur lesquelles il n’est pas possible de prendre le change.
Vn grand & fameux Docteur s’est auisé de mettre la course des cheuaux au nombre des choses vaines & des spectacles qu’il n’aproune pas. […] Enfin ceux qui veulent que nous detournions les yeux de toutes les choses vaines, veulent vne bonne chose, dont la pratique seroit loüable dans le Christianisme. […] les temps font changez, & le sont entierement ; & s’il faut aujourd’huy detourner les yeux de toutes les choses vaines, il ne faut pas aller ny à la Cour, ny au Cours, deux superbes spectacles, & des plus dangereux au conte de nos seueres Censeurs ; Il ne faut pas sortir de la maison & se montrer dans la ruë, ou il faut comme vn Tartufe tendre à la tentation, prendre vn mouchoir à la main, & baisser la veüe à toute heure deuant mille objets qui se presentent, & qui peuuent plus emouuoir les sens de l’homme qui ne s’en rend pas le maître, que ce qui se voit au Theâtre, où ordinairement les oreilles sont plus attachées que les yeux.
Outre le scandale inconcevable que donnent les Chrétiens, moins scrupuleux que des Payens, sur le théâtre, peut-on avoir quelque élévation dans les sentimens, sans être choqué de voir la tragédie dégradée par une vaine tendresse, dont tout l’art est d’arrêter à chaque pas l’impression de la terreur & de la pitié, qui sont le vrai goût de ce genre.
Donner cette idée pour une grande découverte, s’applaudir d’avoir ouvert cette nouvelle & brillante carriere, dire avec assurance qu’on entre dans un champ plus étendu, qu’on brave l’ingratitude des contemporains, & l’oubli de la postérité ; c’est une vaine fanfaronnade, dictée par un amour propre aveugle, enivré de ses productions, qui ne connoit, qui n’estime que soi ; appeller son talent & son genre, le tragique par excellence, lui donner le privilege exclusif, croire que tout le reste n’en mérite pas le nom, que les Grecs & les Anglois seuls, ont seulement, dans quelques scénes, exposé ces magnifiques tableaux, & ce tragique vigoureux, qu’on a seul la hardiesse de dire tout haut, ce que les autres ne disent que tout bas, parce qu’on préfére la vérité à des timides convenances, que le grand Corneille n’a pas atteint le but tragique, que ses maximes, ses raisonnemens, ses projets, ses idées de la grandeur Romaine s’éloignent de l’essence du poëme théatral ; qu’il n’a de parfait que le cinquieme acte de Rodogune, parce que ce n’est que là qu’on éprouve ce bouleversement du sens, cet orage, cette mer soulevée, ce flux & ce reflux de mouvemens ; que Racine n’a jamais la majesté du tragique, (idée fausse, le terrible n’est pas majestueux, la vraye majesté n’est pas terrible) qu’il ne produit point de secousse violente, & ne déchire pas, car Mr.
Celui même de Voltaire, Zaïre, Mahomet, Merope, Alzire, &c. ne seroient plus que de vains squelettes, que deviendroient la science profonde de nos amateurs du théatre ?