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40. (1759) Remarques sur le Discours qui a pour titre : De l’Imitation par rapport à la Tragédie « Remarques sur le discours qui a pour titre : De l’Imitation par rapport à la Tragédie. » pp. 350-387

La matiere ne seroit-elle pas bien plus digne de lui, & bien plus intéressante pour les Gens de Lettres, s’il se proposoit de traiter en général Des causes du plaisir qu’une Tragédie parfaite excite dans l’ame des Spectateurs. […] Le jeune Racine n’a donc pas eu tort de dire dans son Epitre* à l’Auteur du Discours, Le jeu des passions saisit le Spectateur : Il aime, il hait, il pleure, & lui-même est Acteur. […] Tantôt c’est le désir de surpasser ses rivaux, & de vaincre ses ennemis ; tantôt, & presque toujours, c’est la soif de la grandeur, ou l’amour de la Gloire qui lui prête le sien : ainsi soit par son éclat naturel, soit par tout ce qui l’accompagne, l’image de la Vertu affecte toujours l’ame du spectateur. […] Elle se communique, elle pénétre dans l’ame du Spectateur, qui devient presque comme ces Peuples que le son de certains instruments fait danser malgré eux ; pour peu qu’il ait l’ame facile à émouvoir, il entre dans l’enthousiasme, & il éprouve en lui les mêmes mouvements qui ont agité le Poëte dans la chaleur de la composition. […] Or ne sont-ce pas-là les mêmes impressions que la représentation de Cinna fait sur les Spectateurs, & qu’elle a faites encore plus lorsqu’elle a paru pour la premiere fois ?

41. (1668) Idée des spectacles anciens et nouveaux « Idée des spectacles anciens et nouveavx. — Idée des spectacles novveavx. Livre II. — Chapitre XI. Du Balet. » pp. 209-318

Enfin, s’il est digne des soins de l’Artisan, & s’il peut donner du plaisir aux Spectateurs. […] C’est luy qui fait naistre l’avantage des belles choses, & qui sollicite les desirs & la patience des Auditeurs ou des Spectateurs. […] Pour peu qu’une Entrée soit forcée, elle fait un embaras dans l’imagination du Spectateur, & passe pour une extravagance du Poëte. […] Qu’elle porte les caracteres Paternels, qui iustifient son origine, & qui empeschent les Spectateurs de se méprendre, ou de faire des iugements temeraires. […] comment les fera-il discerner aux Spectateurs ?

42. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre VI. Les spectacles produisent et favorisent l’incrédulité. » pp. 86-89

Les dieux, les autels, les prodiges, les prêtres n’y paraissent que pour être la matière d’un indigne parallèle : ils n’y sont soufferts que pour engager adroitement les spectateurs à confondre avec de faux cultes le culte véritable, et n’y sont marqués que du sceau de la haine et du mépris. […] Ces tableaux tragiques remplissent l’imagination d’idées fausses qui affaiblissent presque toujours dans l’âme des spectateurs le respect qu’ils doivent avoir pour elle. […] Ce sont des héros qu’ils produisent sur la scène, et les sentiments impies qu’ils leur prêtent charment les spectateurs et attirent leurs suffrages.

43. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « CHAPITRE IV. Suite des effets des Passions. » pp. 84-107

L'Acteur ne cherche qu'à les émouvoir, et le spectateur à les sentir. […] Qu'on ne voie ni Auteur ni Acteur, mais seulement la personne qu'on joue ; que le spectateur soit transporté, et comme transformé dans l'action. […] Le quiétiste souffre la sensation du plaisir, mais ne l'excite pas ; le spectateur va la chercher, il l'achète, l'Auteur et l'Acteur font leurs efforts pour la produire en eux et en autrui. […] Ce spectateur furieux contre un jaloux qui traverse ou un sujet qui se révolte, verra-t-il offenser Dieu, entendra-t-il vomir des blasphèmes avec indifférence ? […] Son habileté consiste à faire passer le spectateur dans tous les sentiments bons ou mauvais de son rôle.

44. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « V. Si la comédie d’aujourd’hui purifie l’amour sensuel, en le faisant aboutir au mariage.  » pp. 19-24

Que ce soit ou de plus loin ou de plus près, il n’importe ; c’est toujours là que l’on tend : par la pente du cœur humain à la corruption, on commence par se livrer aux impressions de l’amour sensuel : le remède des réflexions ou du mariage vient trop tard : déjà le faible du cœur est attaqué s’il n’est vaincu, et l’union conjugale trop grave et trop sérieuse pour passionner un spectateur qui ne cherche que le plaisir, n’est que par façon et pour la forme dans la comédie. Je dirai de plus, quand il s’agit de remuer le sensible, le licite tourne à dégoût : l’illicite devient un attrait : si l’Eunuque de Térence avait commencé par une demande régulière de sa Pamphile, ou quel que soit le nom de son idole, le spectateur serait-il transporté, comme l’auteur de la comédie le voulait ? […] Il faut toujours que les règles de la véritable vertu soient méprisées par quelque endroit pour donner au spectateur le plaisir qu’il cherche.

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