Ils pourraient se vanter d’avoir à leur tête un Philosophe fameux, si ce Sage ne montrait qu’il se plaît plutôt à avancer des propositions singulières, à soutenir des systêmes bisares, qu’à suivre tout simplement les lumières de la raison : cet homme de génie a la gloire de dire des choses uniques, & d’être presque le seul de son avis. […] Je soutiens que quand même elle n’aurait que ce mérite, elle doit fermer la bouche à ses Critiques ; Elle en ferait toujours plus que ces Moralistes éternels, qui se fatigueraient une année entiére sans remporter la moindre victoire sur les pécheurs trop obstinés, ou trop faibles. […] Je n’ai en vue que les vains raisonneurs, les prétendus philosophes du siécle, qui n’ont d’autre interêt à déprimer le Spectacle moderne, que pour soutenir leurs idées.
Ils ne savent pas qu’il consiste à parer la vérité, non à la defigurer ; à l’enrichir, non à la déshonorer ; et qu’enfin le secours des Episodes doit soutenir les Sujets, et non pas les étouffer. […] La seule chose dont il m’est permis de m’applaudir, c’est d’avoir choisi un sujet dont la beauté a soutenu ma faiblesse.
Les grands Maîtres (ainsi que d’illustres Ecrivains ont remarqué) nous ont donné plusieurs préceptes qui sont contraires à la vérité et à la raison : depuis deux mille ans nous portons le joug sans oser le secouer ; parce que nous ne les approfondissons point ces préceptes, ou parce que nous nous obstinons à les soutenir par prévention. J’ai pensé moi-même comme les autres, pendant un temps ; et, dans la crainte qu’on ne m’accusât de présomption en combattant l’opinion générale, j’ai soutenu les règles tant que j’ai pu ; comme on en peut juger, surtout par mon examen sur Œdipe : mais, en pénétrant plus avant, je me suis senti forcé de les abandonner ; et je me suis dit à moi-même que si mon sentiment était fondé sur la vérité, je ne devais point craindre de parler.
Je n’adopte pourtant pas dans toutes ses parties l’opinion du Philosophe de Genève, qui soutient que, « la transition de la parole au chant, & sur-tout du chant à la parole, à une dureté à laquelle l’oreille se prête difficilement, & forme un contraste choquant qui détruit toute l’illusion, & par conséquent l’intérêt » (66). […] L’oreille qui s’est faite à un chant vif & soutenu par l’harmonie, ne peut sans peine entendre ensuite un chant trop simple, qui lui paraît d’une froideur èxtrême. […] Je sais qu’on propose de l’associer à l’Ariette ; mais il me semble qu’il ne se soutiendrait point à côté d’un morceau de musique ; il paraîtrait bientôt d’une froideur èxtrême ; j’en ai parlé plus haut, & j’ai cité pour éxemple du mauvais éffet de l’air simple mis auprès de l’Ariette, ce que le Spectateur éprouve en entendant les petits Couplets qui sont dans le Marêchal-Ferrant, &c. […] On soutient d’abord que les Prolations ou Roulades ne sont point du tout naturelles ; & qu’on doit les employer très-rarement, sur tout dans l’Opéra-Bouffon, qui doit approcher de la Nature le plus qu’il est possible. […] Ira-t-on s’imaginer que mon dessein soit de soutenir qu’il faut mettre de l’esprit dans une Ariette ?
L’action Tragique qui représente de grandes révolutions & des Héros qui y prennent part, éleve merveilleusement le génie dans cette composition ; cependant il n’y a rien de si rare de nos jours, que des caractères bien soutenus. […] Qui ne sauroit mauvais gré à Corneille d’avoir mieux soutenu le caractère de Rodogune au prix de tant de beautés ? […] Ces tableaux raprochés montreroient, sous un seul point de vûe, la marche générale de la pièce ; les diverses passions qui la soutiennent & le jeu des caractères.