/ 217
23. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre quatriéme. — Chapitre VI. Des Sçènes. » pp. 257-276

Un homme seul ne parle pas ordinairement tout haut comme un fou, il faut donc donner de grandes passions aux personnages qui découvrent leurs sentimens dans un Monologue : ils peuvent se plaindre, gémir, s’emporter, lorsqu’ils sont agités fortement ; parce qu’ils sont hors d’eux-mêmes, & qu’ils ne s’apperçoivent pas de leurs actions. Celui qui parle dans un Monologue, est supposé se rendre compte à soi-même ; & comme je l’ai déjà remarqué, ce n’est que la force de ses passions qui l’oblige de s’entretenir ainsi tout seul : on conçoit donc qu’il ne faut dans un Monologue que des sentimens. […] J’avoue que les Auteurs Dramatiques tombent tous à ce sujet dans une faute considérable, sans même s’en douter ; ils contredisent la règle qu’ils ont avancée, que ce n’est souvent que pour les Spectateurs, que tel personnage dépeint, à l’aide du discours, les sentimens qui l’animent. […] Les personnages des Pièces jouées sur le nouveau Théâtre, entrent & sortent au gré de leurs caprices ; nous avons vû même quelques-uns de ses Auteurs démentir les belles choses qu’ils avançaient dans leurs ouvrages : il me semble, par éxemple, que la marche des Scènes de la Bergère des Alpes, est répréhensible, elle contredit tout ce que j’ai écrit dans ce Chapitre ; tandis que l’Auteur de ce Drame nous a donné des leçons sur la Comédie & la Tragédie, à peu-près pareilles aux sentimens que j’ose proposer quand le nouveau spectacle m’en offre l’occasion.

24. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique —  CHAPITRE XI. Les Grecs ont-ils porté plus loin que nous la perfection de la Tragédie ? » pp. 316-335

Sa victoire passagere, dépendoit des applaudissemens du Peuple, & il ne pouvoit les attirer qu’en jettant ce Peuple dans une grande émotion, par la vivacité de l’Action ; il songeoit donc plutôt à peindre les Passions dans toute leur fureur, qu’à chercher ces finesses de l’Art, que l’Art sait cacher pour donner à l’esprit le plaisir de les chercher, par cette adresse à développer les ressorts du cœur humain, par cette délicatesse de sentimens, & toutes ces beautés, qu’on ne découvre pas dans une premiére lecture, loin qu’on en puisse être frappé dans la premiere Représentation. […] Ce n’est donc point par les peintures des mœurs, par la délicatesse des sentimens, par les pensées ingénieuses, que la Tragédie produit son plus grand effet : & les Grecs, qui dans tous les Arts destinés au plaisir excellerent sur les autres Nations, pour leur gloire & pour leur malheur, puisque leur Passion pour les amusemens frivoles, fut enfin la cause de leur ruine, eurent la véritable idée de la Tragédie, quand ils y donnerent tout au Pathétique & à la vivacité de l’Action. Aristote qui parle peu des caracteres & des sentimens, ne paroît occupé que de l’Action, & des moyens de la rendre capable de produire le plus grand trouble. […] Le Sujet d’Œdipe n’est recommandable, ni par les mœurs, ni par les sentimens, ni par les caracteres, & jamais Sujet ne fut plus heureux pour la Tragédie : c’est le sujet qu’Aristote avoit toujours en vue.

25. (1758) Réponse pour M. le Chevalier de ***, à la lettre de M. des P. de B. sur les spectacles [Essais sur divers sujets par M. de C***] « Réponse pour M. le Chevalier de***, A la lettre de M. des P. de B. sur les spectacles. » pp. 128-142

Déchirée par ces sentimens, si puissans sur les cœurs généreux, la religion, le devoir & l’amour ; elle n’ose avouer Ces foiblesses des sens que sa raison surmonte. […] Mais, non ; soyez tranquille ; le livre d’un honnête homme, où ses sentimens sont gravés, ne peut blesser la plus rigide vertu. […] Elle est bien pardonnable au transport d’un poëte & d’un amant, & d’ailleurs les sentimens de l’auteur sont généralement connus.

26. (1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Seconde partie « Causes de la décadence du goût sur le théatre. — Chapitre XXII. De l’usage du Théatre relativement au Comédien. » pp. 104-121

Enfin, pour nous convaincre que les Poëmes déja au Théatre, ne guident point le Comédien dans le jugement qu’il veut porter de ceux qu’on y présente, il ne faut que refléchir sur l’extrême différence qui se remarque dans les manieres des Auteurs, soit pour les sentimens, soit pour les pensées, soit pour l’expression. […] Mais les différences sont plus frappantes dans la maniere d’expliquer ces sentimens. […] La foule des sentimens qu’ils ont éprouvés dans la chaleur de la composition, a réduit leurs organes épuisés à une espéce d’engourdissement.

27. (1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre douzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et litteraires, sur le théatre. — Chapitre VIII.  » pp. 195-221

Tous vos pas sont des sentimens. […] Les sentimens ne sont que l’ébranlement des organes, la danse les produit, & les communique aux spectateurs, qui sont montés à l’unisson. […] On peut l’appliquer à la musique du théatre ; l’inflexion, l’élévation des voix, la cadence, les consonances, tous vos sons sont des sentimens. On peut en dire autant de la déclamation théatrale : tous vos gestes sont des sentimens ; on le peut dire des ornemens, des parures, mouches, fard, boucles de cheveux, draperie, de tout l’appareil de la scéne : ce sont des sentimens ; c’est un scandale de les ramasser, les combiner, les étaler pour produire cet effet dans le cœur ; c’est un péché de s’y exposer : peut-on mieux faire le procès au théatre, & détruire toutes ses apologies, que par l’éloge qu’en font les amateurs même. Tous vos pas sont des sentimens.

/ 217