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9. (1665) Observations sur une comédie de Molière intitulée Le Festin de Pierre « Observations sur une comédie de Molière intitulée Le Festin de Pierre » pp. 1-48

Voilà en peu de mots ce que l’on peut dire de plus obligeant et de plus avantageux pour Molière : et certes, s’il n’eût joué que les Précieuses, et s’il n’en eût voulu qu’aux petits Pourpoints et aux grands Canons, il ne mériterait pas une censure publique, et ne se serait pas attiré l’indignation de toutes les personnes de piété : mais qui peut supporter la hardiesse d’un Farceur, qui fait plaisanterie de la Religion, qui tient École du Libertinage, et qui rend la Majesté de Dieu le jouet d’un Maître et d’un Valet de Théâtre, d’un Athée qui s’en rit, et d’un Valet plus impie que son Maître qui en fait rire les autres. […] Si le dessein de la Comédie est de corriger les hommes en les divertissant, le dessein de Molière est de les perdre en les faisant rire ; de même que ces Serpents, dont les piqûres mortelles répandent une fausse joie sur le visage de ceux qui en sont atteints. […] Certes Molière n’est-il pas digne de pitié ou de risée, et n’y a-t-il pas sujet de plaindre son aveuglement, ou de rire de sa folie, lorsqu’il ditEn sa Requête. […] Le Brouhaha t du Parterre n’est pas toujours une marque de l’approbation des Spectateurs : L’on rit plutôt d’une sottise que d’une bonne chose, et s’il pouvait pénétrer dans le sentiment de tous ceux qui font la foule à ses Pièces, il connaîtrait que l’on n’approuve pas toujours ce qui divertit et ce qui fait rire. […] [NDE] La Reine mère, Anne d’Autriche, est effectivement devenue très dévote sur ses vieux jours (elle mourra l’année suivante) mais elle rit aux éclats aux comédies de Molière et celui-ci lui dédie sa Critique, allant chercher une protection au cœur même du parti dévot.

10. (1666) Seconde Lettre de Mr Racine aux deux apologistes des Hérésies Imaginaires « De Paris ce 10. Mai 1666. » pp. 193-204

Il est vrai que vous n’êtes pas venus à bout de votre dessein, le monde vous a laissés rire et pleurer tous seuls ; mais le monde est d’une étrange humeur, il ne vous rend point justice : pour moi qui fais profession de vous la rendre, je vous puis assurer au moins que le mélancolique m’a fait rire, et que le plaisant m’a fait pitié. — Ce n’est pas que vous demeuriez toujours dans les bornes de votre partage, il prend quelquefois envie au plaisant de se fâcher, et au mélancolique de s’égayer, car sans compter la manière ingénieuse dont il nous peint ces Romains qu’on voyait « à la tête d’une armée et à la queue d’une charrue », il me dit assez galamment, « que si je veux me servir de l’autorité de Saint Grégoire en faveur de la Tragédie, il faut me résoudre à être toute ma vie le Poète de la passion ». Voyez à quoi l’on s’expose quand on force son naturel, il n’a pu rire sans abuser du plus saint de nos mystères, et la seule plaisanterie qu’il fait, est une impiété. […] Il voudra qu’il lui soit permis de rire quelquefois, quand ce ne serait que d’un Jésuite, il vous prouvera comme ont fait vos amis que la raillerie est permise, que les Pères ont ri, que Dieu même a railléi. […] Le monde en a ri pendant quelque temps, et le plus austère Janséniste aurait cru trahir la Vérité, que de n’en pas rire.

11. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « CHAPITRE VI. Du sérieux et de la gaieté. » pp. 128-149

Je sais que dans le moment d'une bouffonnerie on rit quelquefois aux éclats. […] Rien d'important qui ne doive être traité sérieusement : rire toujours, rire aux éclats, c'est être insensé et se rendre méprisable : « Fatuus in risu exaltat vocem suam, sapiens vix tacite ridet. […] On n'a besoin ni de Molière pour faire rire, ni de Racine pour faire pleurer. […] Démocrite riait de tout, Héraclite pleurait de tout. Le monde fournit abondamment à l'un et à l'autre ; ses sottises méritent tous nos ris, ses crimes toutes nos larmes.

12. (1667) Traité de la comédie et des spectacles « Sentiments des Pères de l'Eglise sur la comédie et les spectacles — 4. SIÈCLE. » pp. 120-146

Ce qui est encore plus dangereux est le sujet pour lequel on s'emporte dans ces ris immodérés, car aussitôt que ces bouffons ridicules ont proféré quelque blasphème, ou quelque parole déshonnête, on voit que les plus fous sont ravis de joie, et s'emportent dans les éclats de rire. […] Que ne montez-vous donc aussi sur le Théâtre, aussi bien que ces bouffons qui vous font rire ? […] C'est là que chacun de vous remporte toutes ces ordures dont les paroles licencieuses, les vers impudiques, et les ris dissolus ont rempli vos âmes. […] Toutes ces choses devraient donc porter ceux qui les voient, non pas à rire, mais à pleurer. […] Il n'est point nécessaire que je vous représente en particulier tous les vices des Spectacles, ce ne sont que des ris dissolus, des représentations honteuses, des paroles infâmes, des médisances, des bouffonneries; tout y est corrompu, tout y est pernicieux.

13. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XXXV. Conclusion de tout ce discours. » pp. 138-152

C’est pourquoi, il ne faut pas espérer de rien faire de régulier de la comédie, parce que celles qui entreprennent de traiter les grandes passions, veulent remuer les plus dangereuses, à cause qu’elles sont aussi les plus agréables : et que celles, dont le dessein est de faire rire, qui pourraient être, ce semble, les moins vicieuses ; outre l’indécence de ce caractère dans un chrétien, attirent trop facilement le licencieux, que les gens du monde, quelque modérés qu’ils paraissent, aiment mieux ordinairement qu’on leur enveloppe, que de le supprimer entièrement. […] , a bien pris nos larmes, nos tristesses, nos douleurs et jusqu’à nos frayeurs, mais n’a pris ni nos joies ni nos ris, et n’a pas voulu que ses lèvres, « où la grâce était répandue »Ps. […] Je ne m’en étonne pas : car nos douleurs et nos tristesses sont très véritables, puisqu’elles sont de justes peines de notre péché : mais nous n’avons point sur la terre depuis le péché, de vrai sujet de nous réjouir : ce qui a fait dire au Sage : « J'ai estimé le ris une erreur, et j’ai dit à la joie : pourquoi me trompes-tu ?  […] ou comme porte l’original : « J'ai dit au ris, tu es un fol, et à la joie, pourquoi fais-tu ainsi ?  […] Ainsi le verbe fait chair, la vérité éternelle manifestée dans notre nature, en a pu prendre les peines qui sont réelles ; mais n’en a pas voulu prendre le ris et la joie qui ont trop d’affinité avec la déception et avec l’erreur.

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