Des hommes qui viennent de rire ; de folâtrer avec les Comédiens, sont-ils bien pénétrés de ce que ceux-ci leur disent à l’ouverture de la Scène ? […] Qui est-ce qui n’a pas entendu mille fois les ris moqueurs, éclatter aux discours d’ingénuité, d’innocence & de fidélité d’une Actrice, à qui le public refusoit ces vertus ?
Contre la Comédie en vain l’on écrira De ces moralités le public se rira.
A la comédie française où la petite piéce vient dedommager du serieux de la grande, les valets, les soubrettes tiennent la place d’Arlequin : Arlequin en effet n’est qu’un valet balourd, qui fait rire par ses bêtises. […] Riccoboni en avoit rempli plusieurs portefeuilles, tout cela est très-peu de chose ; c’est proprement l’acteur qui compose, il a plus besoin de génie, d’exercice, de fécondité que l’auteur, pour remplir sur le champ ces idées seches, & imaginer à propos des choses plaisantes, analogues à la piece ; on sent combien doit être licencieux un dialogue abandonné à l’imagination libertine d’un comédien, & d’une actrice qui peuvent impunément dire tout ce qui leur vient dans l’esprit, pour faire rire le parterre. […] de vrais contes de vieille, dont on amuse de vieux enfants, & la plupart des spectateurs, des vieux enfants, qui rient d’un conte de vieille ; pour peu qu’on ait l’usage du monde, la conversation aisée, le tâlent plus mince, ou plutôt l’instinct des singes, de contrefaire les gens, l’art de coudre des conversations qu’on fait venir, comme on veut, les comédies naissent sous la plume & sous les levres. […] Bibiana dépouillé de ses lauriers reprit son premier metier ; il fit répresenter à grands frais des comédies dans une salle magnifique du Vatican, où les décorations changeoient à chaque acte, on ne s’y mettoit en peine que d’y faire rire, & cet homme qu’on dit avoir chassé les histrions pour réformer la comédie y faisoit jouer les piéces les plus licencieuses : on invitoit même les enfans des meilleures maisons à monter sur le théatre & y servir d’Acteurs. […] Tout cela n’est que pour la populace, qui en rit aux éclats.
Ses amours avec Heloïse, les lettres galantes, les burlesques avantures étoient de ces événemens des amans de Cithere, qui font rire le public un moment, dont on ne se souvient plus le lendemain, & qui ne méritent pas qu’on s’en souvienne. […] Jamais les Colléges n’en ont profité, & ce seroit une mauvaise querelle d’inculper les comptes sur cet article, de les accuser d’infidélité & de friponerie, cet article n’y a jamais été, ni dû être porté, on ne l’a pas même fait ; les Commissaires n’ont rient dit la-dessus. […] La scéne exagere tout, grossit les traits, ajoute des circonstances, pour plaire, pour faire rire : elle ne peut s’endispenser ; la vérité toute nue n’a aucune agrément, il faut nécessairement l’embellir, ou plutôt désigner tout. […] La face de ce Diocèse faisoit rire & gémir, dans la même Paroisse le Curé disoit un Breviaire, le Vicaire un autre ; selon qu’ils officioient, ils suivoient des Rits différens. […] Dans le siécle passé, où le hochet des actrices n’étoit pas encore devenu un sceptre, on en eût badiné, cette imagination burlesque eût fait rire, elle eût été prise pour une scéne à ajouter aux Plaideurs de Racine, ou à la Femme juge & partie, de Montfleuri.
L’un des plus grands désordres de la comédie, dont on rit, au lieu d’en gémir, c’est le mépris & le dégoût qu’il inspire pour le mariage & ses devoirs. […] Soyez sûr qu’elle en rit dans le fond de son ame. […] vous en riez ; est-ce là leur place ? […] Le nom même en a été changé en un jargon & un symbole théatral qui revient par-tout, & ne rappelle jamais l’infidélité des femmes sans faire rire. […] Les obscénités applaudies font rire aux éclats, les idées de religion sont reléguées dans la cellule de quelque vieille Nonain.