Votre Comédie-Ariette, quoique peu naturelle, pourrait devenir utile, en bannissant de ce genre les indécences ; en donnant aux Paysans & aux Artisans les mœurs du plus grand nombre d’entr’eux ; en ne les sacrifiant pas au ris moqueur des Inutiles : en suivant la route tracée dans Lucile, où l’Auteur a su rassembler des personnages de conditions assez éloignées, sans que les contrastes blessent ; chacun d’eux y étant a sa place, y fesant ce qu’il doit, & comme il le doit. […] Les petites Pièces sont ordinairement à cannevas, & n’ont d’autre fin, que de faire rire par des quolibets, & ces bons-mots, insipides par-tout ailleurs que dans la bouche de l’Arlequin. Ainsi, lorsque dans les Deux-Frères-Rivaux, Scapin menace sa sœur de la faire mettre entre quatre mutailles, & qu’Arlequin lui répond, qu’il vaudra mieux la faite enfermer entre quatre rideaux ; l’on rit & l’on applaudit à la naïveté de la répartie, dans un balourd, qui dit bonnement ce qu’il pense sans y entendre finesse : au-lieu que dans un homme d’esprit qui la donnerait pour une pointe, elle serait sifflée avec raison.
Ils y faisaient aussi paraître les hommes monstrueux de corps, et dont le seul aspect était capable de faire rire, avec ces Innocents ou Idiots, qui servaient assez souvent de jouet et d'entretien familier aux grands Seigneurs de ce temps-là, comme nous en voyons encore en celui-ci. […] , grosse et monstrueuse, pour représenter ainsi ridiculement quelque Héros ; les Sauteurs à cloche-pied, qui faisaient rire en tombant, pour ne pouvoir pas bien se tenir sur des outres huilées, offertes à Bacchus sur le Théâtre. […] Elle était célébrée par les Ecclésiastiques dans les Eglises durant le service Divin, avec des masques de figure bizarre, et des habillements de femmes et de fripons ; et en cet équipage ils dansaient à la mode des Histrions, et leurs danses étaient accompagnées de chansons malhonnêtes ; et sans avoir aucune honte, ils couraient la Ville et les Théâtres, et faisaient rire les Spectateurs par des gestes impudents, par des paroles indignes de leur profession, et par d'autres abominations, dont la pensée est capable de faire rougir.
L’Avare rit de la peinture qu’on fait de lui-même, & croit se moquer de son voisin ; la Coquette applaudit à son portrait, & dit tout haut à l’oreille de cinq ou six personnes discretes, qu’elle connaît bien là son amie ; le petit Maître sourit à l’esquisse de ses ridicules, & s’écrie, que le Marquis un tel est peint à ravir. […] L’esprit a besoin de se délâsser quelquefois ; il ne peut pas s’occuper sans cesse de choses importantes & èxtrêmement relevées ; aussi voit-on le Philosophe & le Savant rire au Théâtre des mêmes traits qui éxcitent la bonne humeur du Peuple.
Ces expressions, qui ne sont rien moins que des traits d’esprit, sont un jargon dont on déclare gravement qu’il ne faut que rire. […] Par-tout quelqu’infidélité dont on rit ; des maris & des femmes qui s’insultent, se maudissent, se battent ; des enfants révoltés contre leurs parents, qui s’engagent sans leur aveu, les trompent, les volent, les forcent à se rendre à leur folle passion ; des domestiques frippons, des fourbes, des ministres de plaisir qu’on récompense. […] On riroit au nez de celui qui feroit l’éloge de leur vertu, à moins de vouloir, comme Érasme, faire, pour rire, l’apologie du vice & du libertinage.
Nous avons beau vous instruire, vous exhorter, vous purifier de vos vices, vous laver de vos iniquités, pour peu que vous retourniez au spectacle, vous y contractez de nouvelles souillures, & plus grandes encore dans vos mœurs, vos paroles, vos ris, votre parure. […] Tout au théatre est opposé à la sagesse, le ris dissolu, la pompe diabolique, la dissipation, la perte du temps, l’aliment de la concupiscence, les préparatifs du péché, les pensées d’adultère, le collège des vices, l’école du péché, l’aiguillon de l’intempérance, l’exhortation à l’impureté, l’exemple, l’occasion, la facilité de la dissolution. […] C’est une vrai fournaise en effet, dans laquelle le démon vous jette, c’est lui qui en allume les flammes ; ce n’est pas, comme les tyrans, du bitume, de la poix, des étoupes qu’il y emploie, mais des alimens plus combustibles & plus funestes, des ris dissolus, des discours obscènes, des airs lascifs, des objets indécens, des femmes immodestes, Les premiers feux étoient allumés par des mains barbares, & ceux-ci le sont par de mauvaises pensées, des désirs criminels.