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41. (1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre douzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et litteraires, sur le théatre. — Chapitre VI. Siécle de Louis XV. Chap. 2. » pp. 161-170

Le théatre sert à tout, à la defaite & à la victoire, à la joie & à la tristesse ; on voyoit à Dresde dans la même loge, le Roi qui avoit chassé l’Electeur & sa famille prisonnière, tous deux rians, mais d’un rire bien différent. On ne s’est pas encore avisé de jouer la comédie le jour de l’enterrement, à l’honneur du mort ; mais bientôt ce sera une partie du cérémonial des obséques, & l’on verra sur les cartouches, sur les draps mortuaires, sur les tombeaux des têtes & des ossemens de morts, avec des violons & des masques ; cet assemblage digne de notre siécle, qui est le siécle du théatre, est plus tragique que comique, fait plus gémir que rire, il insulte tout ; mais l’entousiasme du théatre ne connoît point de regle, il brave la bienséance de la Réligion, il mêne de la Messe à la comédie, il peut bien mener d’un enterrement, d’une prison à l’opéra. […] Il appretie Moliere avec justice, il contribua à défaire le public des importuns subalternes (les petits maitres) de l’affectation des précieuses, du pédantisme des femmes scavantes, de la robe & du latin des médecins, & fut un législateur des bienséances du monde  ; mais cette saine morale, cette école de vertu, cette réforme des mœurs qu’on veut donner à Moliere, fait rire, ou plutôt fait pitié ; on plaint l’aveugle qui le croit ou l’avance, & le public qui est la victime de son libertinage.

42. (1666) Dissertation sur la condemnation des théâtres « Disseration sur la Condemnation, des Théâtres. — Chapitre X. Que l'extrême impudence des Jeux Scéniques et des Histrions fut condamnée. » pp. 217-229

Il fait même trois sortes de censures contre le Théâtre ; et le nomme une chaire de pestilence, et l'école de la débauche ; mais ses paroles montrent assez clairement qu'il n'applique cette condamnation qu'aux Histrions, Farceurs, Mimes, Scurres et autres gens qui ne travaillaient qu'à faire rire ; car il ne se plaint que de l'impudence de l'Orchestre, où nous avons montré que les Comédiens ne jouaient point, et où était un lit sur lequel les Mimes représentaient les adultères de leurs Dieux, et de ce que l'on y donnait au public des Spectacles de fornication, des corps efféminés, des paroles sales, des mauvaises chansons, des femmes débauchées, qui dansaient et nageaient toutes nues dans l'Orchestre pour divertir le peuple, dont rien ne convenait au Poème Dramatique. […] ayant touché cette communication de l'Idolâtrie des Spectacles, ajoute, pour en exprimer la turpitude, qu'ils ne doivent pas faire notre divertissement ; « Le stade et le Théâtre, dit-il, peuvent bien se nommer une chaire de pestilence, et l'assemblée que s'y fait est remplie d'iniquité, et chargée de malédictions ; les actions les plus honteuses y sont toutes représentées ; et quelles paroles les Bouffons et les Bateleurs ne prononcent-ils point pour faire rire le peuple ? 

43. (1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — Seconde partie. Notes. — [B] » pp. 380-390

Ces images nous font sourire, si elles sont peintes avec finesse : elles nous sont rire, si les traits de cette maligne joie, aussi frapans qu’inattendus, sont aiguisés par la surprise. […] Si l’on demande, pourquoi le comique de situation, nous excite à rire, même sans le concours du comique de caractère, nous demanderons à notre tour, d’où vient que l’on rit de la chute imprévue d’un passant ? […] Tels sont les trois genres de Comique, parmi lesquels nous ne comptons ni le Comique de mots, si fort en usage dans la Société, faible ressource des esprits sans talens, sans étude & sans goût ; ni ce Comique obscène qui n’est plus souffert sur notre Théâtre que par une forte de prescription, & auquel les honnêtes-gens ne peuvent rire sans rougir ; ni cette espèce de travestissement, où le Parodiste se traîne après l’original, pour avilir, par une imitation burlesque, l’action la plus noble, la plus touchante ; genre méprisable, dont Aristophane est l’auteur.

44. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique —  RECAPITULATION. » pp. 382-390

Pour arracher leur ame à cette oisiveté qui fait son ennui, il faut ou la rendre attentive à un pompeux récit de merveilles qui la tiennent dans l’admiration, ou frapper en elle cette partie pleureuse, dont parle Socrate [p. 67] qui est insatiable de larmes, ou, ce qui est plus difficile, satisfaire la partie gaye, qui ne veut que rire. […] Ainsi la Poësie Epique vit nécessairement du Merveilleux, la Tragédie vit de Larmes, & la Comédie doit vivre des Ris.

45. (1762) Apologie du théâtre adressée à Mlle. Cl… Célébre Actrice de la Comédie Française pp. 3-143

Mais supposons que ce mal soit coloré & qu’on ait fait pour lui les frais d’une gaze agréable & piquante : ce seront des traits gais, des pensées badines ; eh bien, mettons les choses au pis, on en rira : encore faut il qu’elles soient jolies ; mais en rire est-ce les goûter, les adopter dans l’ame, les graver dans son cœur ? Personne ne s’est avisé de se faire un précepte d’une chose qui l’amuse : ce seroit donner à son ris une vertu singuliere, & à sa morale, un mobile original ; parce qu’en effet il n’y a rien qui ait si peu l’air d’une leçon, qu’un badinage. Mais qu’on en rie : voilà ce que la bagatelle peut espérer de plus heureux ; du reste c’est un mouvement fugitif & passager, qui ne peut avoir dans aucun esprit le caractére d’impression. […] C’est qu’elles ont fait leur effet, & qu’on ne peut toujours rire. […] En chargeant le ridicule, change-t-on pour cela sa vertu ; Il amusoit ce trait, eh bien il amusera d’avantage ; & si le tribut qu’on lui doit, est un ris, ce ris en aura plus d’éclat & plus de force : voilà tout ce qui peut en arriver.

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