C’est ainsi que le monde remplit les ames d’une negligence si dangereuse, qu’elles font voir par là, que leur salut n’est pas leur affaire capitale ; negligence, que le Saint Esprit condamne dans les saintes Ecritures, quand il dit : Proverb. 3. […] Chrysostome fait retrancher, ce qu’il y avoit de plus dissolu & de plus honteux : mais quelque reforme, qu’on y eut fait, le même Saint ne laisse pas de les appeler « des écoles d’impuretés & de libertinage » : non pas qu’on y representât des actions sales sur le Theatre, ce que les pieux Empereurs n’auroient pas souffert ; mais parce que les Comediens de l’un & de l’autre sexe ne s’étudioient, qu’à se servir de paroles équivoques, & de gestes affectés, qui n’étoient propres, qu’à remplir l’esprit d’idées impures, & le cœur de mauvais desirs.
C’est en nous privant volontairement de la jouissance illégitime des créatures et des plaisirs des sens, qui dégradant la noblesse de notre origine, ne peuvent jamais remplir les desirs immenses d’un cœur plus vaste que cet univers et que tous les êtres créés. […] Mais ce bonheur oisif et tranquille eût-il rempli les desirs d’un cœur fait pour aimer, et qui ne peut trouver de repos que dans l’amour et dans la possession d’un bien inaltérable et infini comme lui ?
Il remplit cette obligation par son zéle, par son jeu, & par la beauté des piéces qu’il donne.
Comme on ne représente sur le théâtre que des aventures galantes et extraordinaires, et que les discours de ceux qui y parlent sont assez éloignés de ceux dont on se sert dans la vie commune, on y prend insensiblement une disposition d’esprit romanesque et licencieuse, on se remplit la tête de héros et de héroïnes.
Le clergé de France est d’autant moins fondé à frapper les acteurs, de l’anathème qui résulte de ses sentences exterminatoires, qu’il a lui-même aidé à leur institution, et que dans le principe de la création des comédiens du troisième âge, les prêtres ont rempli des rôles, dans les mystères que ces mêmes comédiens représentaient. […] L’autorité séculière défendit enfin aux prêtres, de remplir désormais des rôles de comédiens, et à ceux-ci de ne plus prendre leurs sujets de comédie dans les mystères de la religion. […] C’est ainsi que les jésuites parviendraient à obtenir l’exécution des lois d’Etat, qui sur terre anticiperaient l’enfer et rempliraient dès ce bas monde l’office des démons.