L’harmonie de l’âme est entièrement dissipée à la comédie, puisqu’on y perd ordinairement les sentiments de la pudeur, de la piété et de la religion, si on y va souvent ; et elle est fort ébranlée, pour peu qu’on y aille, parce qu’elle excite et réveille les passions ; parce qu’elle fait ou doit faire cet effet dans tout le monde ; parce que c’est son but, sa fin et son dessein, et que ce n’est que par accident qu’elle ne le fait pas toujoursbd.
Ces spectacles dont ils parlent, & contre lesquels ils invectivent avec tant de zele, étoient en partie sanguinaires & cruels, & en partie infames & honteux ; en sorte que les personnes qui avoient quelque sentiment d’humanité, ou de pudeur, en avoient elles-mêmes de l’horreur. […] Je suis même d’accord qu’on a épuré le Theâtre de toutes les obscenitez, qui vont à corrompre les mœurs, que l’on a soin dans les bals & dans les danses, que l’immodestie, & les libertez scandaleuses en soient bannies ; que les paroles, les gestes, les actions ne blessent point ouvertement la bienseance & la pudeur, quoyque je ne tombe pas d’accord que toutes ces regles y soient toûjours si exactement observées. […] Non, me direz-vous, car la précaution que vous avez prise, vous ôte tout sujet de croire, que ce soit une occasion prochaine, ou bien un danger évident ; puisque ces spectacles sont tout autres que ceux des Anciens ; qu’on ne peut souffrir qu’on y represente le vice avec cette impudence, qui faisoit rougir alors les personnes qui avoient quelque teste de pudeur ; que dans les comedies mêmes les plus boufonnes, ou les plus enjoüées, on n’y peut supporter les paroles libres & équivoques ; que l’effronterie & l’immodestie ne se souffrent point dans les bals & dans les assemblées, & quoyque ces assemblées soient composées de personnes de different sexe, il est rare qu’on y voye rien qui soit ouvertement contre la bienseance ; & pour ce qui est des comedies, contre lesquelles les personnes zelées se déclarent le plus hautement, ne donne-t-on pas cette loüange à nôtre siecle, d’avoir purgé le Theâtre, de tout ce qui pourroit soüiller l’imagination, soit dans les paroles, soit dans les actions, soit même dans les sujets que l’on accommode au goût & aux mœurs de ce temps ? […] Nous sommes, à la verité, dans un siecle, où l’on garde des mesures de bienseance plus que jamais ; jamais les dehors ni les apparences de la vertu & de la probité n’ont été menagez avec plus de soin ; & comme l’on apporte toutes les précautions que l’on peut, pour conserver sa reputation, on témoigne de l’indignation contre les vices grossiers, & contre tout ce qui choque l’honnêteté ; mais comme les mœurs sont aussi corrompuës qu’elles l’ont jamais été, cette horreur que l’on marque pour tout ce qui blesse la pudeur, ou qui enseigne ouvertement le crime, est plûtost un effet de la politesse du siecle, que de sa probité ; de maniere que les spectacles de ce temps sont d’autant plus dangereux, que le mal y est plus caché, & plus subtilement déguisé.
Il n’y a, disoit-il, de belle rougeur que celle que la pudeur enfante, & de belle blancheur que celle que donne la mortification : Unus nobilis rubor quem pudor gignit, unus candor quem abstinentia parit. […] Quelques Auteurs ont prétendu que la robe pretexte, qu’on leur donnoit au sortir de l’enfance, étoit de pourpre, pour leur donner des leçons de pudeur : Pudoris & verecundia argumentum & ornamentum. Cette pudeur obrînt la grace d’un Roi de Macedoine (Demetrius) que le Senat avoit condamné. […] Elle suppléeroit par du rouge à la livrée de la pudeur ; mais le Senat s’y laisseroit-il prendre ?
Voyez Angélique, elle n’a pas plus de pudeur qu’Armide ; elle joue au pauvre Roland un tour qu’on ne pardonneroit pas à une vraie guenippe, & je trouve que Roland ne fait pas trop mal de faire tapage & de jeter les meubles par les fenêtres. […] Cet air de pudeur feroit foi. […] Ce portrait très-vrai & très-ingénieusement rendu est celui de tous les théatres où les amans sans pudeur & les Amantes, les Actrices sans décence, quoique les expressions n’ayant rien de grossier, & par conséquent sont très-dangereux. […] Il y a tom. 2, une lettre singulière d’une femme à Ovide où elle lui fait des reproches d’avoir peint la Déesse Venus sans pudeur & sans vertu ; c’est une querelle faite injustement à ce Poëte qui n’est point l’Auteur du portrait de Venus, & se seroit fait siffler s’il en avoit fait une honnête femme.
D’abord un reste de pudeur fit garder une partie des habits du sexe, on ne se mit qu’en amazone, moitié homme & moitié femme, à peu près comme les Syrenes ou le monstre d’Horace, dont le buste étoit une femme, le reste du corps un poisson : Desinit in piscem mulier formam supernè. […] Mais ces déguisemens flattent le goût du vice, réveillent l’idée d’un autre sexe, enhardissent à secouer le joug de la pudeur. […] Au contraire les femmes prennent un air hardi, effronté, décidé, étourdi, sans pudeur, jurent, boivent, &c. comme des Grenadiers, ont des baigneurs, des coëffeurs, des accoucheurs, des valets de chambre. […] Il est une autre sorte de masque moral, cher & familier au théatre, qui donne les plus efficaces leçons d’hypocrisie dans tous les autres gens de bien : hypocrisie de probité, de fidélité, de pudeur, de respect, de soumission, de douceur, &c.