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139. (1765) De l’éducation civile « De l’éducation civile » pp. 76-113

dites-nous donc, depuis plus d’un siecle que nous prenons de vos leçons, avons-nous fait bien des progrès dans le chemin de la vertu ? […] L’expérience nous apprend qu’il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de corriger des hommes faits, & de changer entiérement des caracteres déja formés : au lieu que la jeunesse est une cire molle prête à prendre toutes les formes qu’on voudra lui donner. […] Si, dans cette derniere recolte, ils viennent à rencontrer des graines dangereuses, ils sauront s’en préserver à l’aide des principes dont on aura pris soin de les prémunir. […] Il faut combiner les avantages respectris des uns sur les autres, afin de n’être jamais forcé à prendre un parti désavantageux. […] L’ame se passionne & devient naturellement éloquente ; les expressions mâles & nerveuses ne manquent point au besoin ; le style prend de la noblesse & de la force sans le secours de l’art.

140. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « CHAPITRE VII. De la frivolité et de la familiarité. » pp. 150-162

La frivolité se répand sur tout : religion, morale, histoire, sciences, tout dans une imagination Française, par la manière de l'envisager et de le traiter, en prend la teinte ; rien n'est goûté dans le beau monde, s'il n'en a l'assaisonnement. […] Ceux qui les fréquentent ne prennent pas moins leur ton de privauté que leur goût de libertinage. […] Tout ce joli monde qui chante, danse, siffle, déclame avec les Acteurs, jette des fleurs sur la toilette des Actrices, prend-il des leçons de politesse, en fait-il l'exercice ? […] point de tragédie où quelque Acteur ne parle des Rois, des Grands de l'Etat, d'une manière à se faire mettre à la Bastille, s'il tenait dans le monde les mêmes propos : point de comédie où quelqu’un ne prenne la même licence contre son père, son mari, son maître. […] Mais les Prédicateurs et les Avocats, malgré leur gravité, copient quelquefois le style et la déclamation des Comédiens, et vont prendre leurs leçons.

141. (1665) Lettre sur les observations d’une comédie du sieur Molière intitulée Le Festin de Pierre « APOSTILLE » pp. 33-57

C'est un titre qu’il leur a commandé de prendre, et c’est par là qu’il a voulu faire connaître qu’il ne se laisse pas surprendre aux tartufes et qu’il connaît le mérite de ceux que l’on veut opprimer dans son esprit, comme il connaît souvent les vices de ceux que l’on lui veut faire estimer. […] Vous prendrez, si vous voulez, ceci pour une seconde ou pour une continuation de la première, cela m’embarrasse peu et ne m’empêche point de poursuivre. […] Par exemple, si on eût fait paraître sur le théâtre un homme à qui on n’eût donné que le nom de dévot et que l’on lui eût fait en même temps entreprendre ce que fait Tartuffe, tout le monde aurait crié : « Ce n’est point là un véritable dévot, c’est un hypocrite qui tâche à nous tromper sous ce nom. » Puisqu’il est ainsi, comme on n’en peut douter, puisque, dis-je, on connaît l’hypocrite par ses méchantes actions, lorsqu’il prend le nom et l’extérieur d’un dévot, pourquoi veut-on, pour nuire à Molière, qu’un homme qui a non seulement le nom d’hypocrite, mais encore qui en fait les actions, soit pris pour un véritable dévot ? […] La pièce de Molière va causer des désordres épouvantables, et le zélé réformateur des ouvrages de théâtre, le bras droit des tartufes, l’observateur enfin qui a écrit contre lui, parle à la fin de son ouvrage comme un désespéré qui se prend à tout.

142. (1759) Lettre sur la comédie pp. 1-20

Il sort pour toujours de cette carrière enchanteresse, il prend pour témoin & pour arbitre de son engagement un des plus saints Evêques, qui aient paru dans l’Eglise de France. […] Indépendamment du desir de vous soumettre ma conduite & de mériter votre approbation, votre appui m’est nécessaire dans le parti indispensable que j’ai pris, & je viens le réclamer avec toute la confiance que votre amitié pour moi m’a toujours inspirée. […] Si la prétention de ce caractère, si répandue auiourd’hui, si maussade comme l’est toute prétention, & si gauche dans ceux qui l’ont malgré la nature & sans succès, n’étoit qu’un de ces ridicules qui ne sont que de la fatuité sans danger, ou de la sottise sans conséquence, je ne m’y serois plus arrêté ; l’objet du portrait ne vaudroit pas les frais des crayons : mais outre sa comique absurdité, cette prétention est de plus si contraire aux régles établies, à l’honnêteté publique, & au respect dû à la Raison, que je me suis cru obligé d’en conserver les traits & la censure, par l’intérêt que tout Citoyen qui pense doit prendre aux droits de la Vertu & de la Vérité. […] Si quelqu’un de ceux qui veulent bien s’intéresser à moi, est tenté de condamner le parti que j’ai pris de ne plus paroître dans cette carrière, qu’avant de me désapprouver il accorde un regard aux principes qui m’ont déterminé.

143. (1762) Lettres historiques et critiques sur les spectacles, adressées à Mlle Clairon « Lettres sur les Spectacles à Mademoiselle Clairon. — LETTRE VI. » pp. 98-114

L’action, selon Aristote1, suit de près le discours, & on se laisse gagner volontiers par les choses dont on aime l’expression : lorsqu’on déteste un événement, on ne prend aucun plaisir à le voir représenter. […] s’il avoit eu envie de ridiculiser les progrès de l’Evangile, il ne s’y seroit pas pris autrement. […] Les Princes ont cela de leur haute naissance, Leur ame dans leur sang prend des impressions Qui dessous leur vertu rangent leurs passions : Leur générosité soumet tout à leur gloire, Et si le peuple y voit quelques déreglemens, C’est quand l’avis d’autrui corrompt leurs sentimens. Les Héros de Théâtre sont obligés de prendre les ornemens de la vanité ; n’importe que ce soit des Saints, on les dépouille sur la Scéne, des habits obscurs de l’humilité chrétienne, pour leur faire chausser le cothurne romain : ils doivent s’exprimer avec autant de fierté que les prétendus grands hommes du Paganisme.

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