Il se trompe, elle est également méprisée ; ses contes, ses poésies sont d’une saleté aussi dégoutante que vaine, bien digne d’un Poëte des Guinguettes ; il se loue lui-même outre mesure dans cette piece ; il ne la récitoit qu’aux libertins comme lui. […] L’Abbé Conti, noble Vénitien, homme savant, grand voyageur, mauvais Poëte, eut la fureur d’aller à Londres apprendre l’art dramatique, & y devint Anglomane. […] La plus grande partie de sa vie a été une comedie perpétuelle : ce qui a fait faire pour lui cette épitaphe ingénieuse & trop juste : Ci git le Poëte Santeuil, Muses & fous prenez le deuil. […] Le Libraire appelle le Poëte François, l’Emule de l’Italien qui lui rend l’hommage le plus généreux. […] Dabord il lui lache trois vers copiés du chef-d’œuvre Diquesto divine Ariosto, qu’il assure être à-peu-près la pensée du Poëte.
Plaute fut le premier Poëte qui montra aux Romains ce que c’est que le Génie. […] Cecilius reçut froidement le Poëte qui étoit mal vétu, & comme il étoit à table, lui accorda avec peine un moment pour réciter quelques Vers. A peine les eut-il entendus, qu’il fit mettre à table avec lui le Poëte, & remit après le repas la lecture de la Piéce. Terence nous apprend dans ses Prologues, qu’il étoit persécuté par la jalousie d’un vieux Poëte. […] Horace qui sait si bien railler les vices, & répandre le sel Attique, semble né pour être un excellent Poëte Comique.
Aujourd’hui on ne pense pas de même ; on ne va au Théâtre que pour se divertir : on rit à la Comédie, et l’on pleure à la Tragédie, sans songer par quel motif le Poète a voulu faire rire ou faire pleurer ; sans examiner, par exemple, si c’est dans l’intention de corriger, ou d’instruire. […] Quoique je ne les condamne point d’en être vivement émus d’horreur ; je ne puis cependant m’empêcher de savoir bon gré au Poète, qui, pour détruire par une forte impression le sentiment et le désir de la vengeance, a choisi un des faits le plus marquant que l’antiquité nous ait laissé en ce genre. […] Enfin la Tragédie d’Atrée et de Thyeste est remplie de beautés ; et l’imagination du Poète a tiré partie de certaines choses qu’on n’aurait jamais cru pouvoir paraître avec agrément sur la Scène. […] Le sujet d’Iphigénie en Tauride, traité d’abord par Euripide, l’a été depuis par deux Poètes modernes ; M. […] Martelli, Italien : c’est une étude digne d’un homme d’esprit et de goût, que de comparer à l’original Grec les imitations des deux Poètes que je viens de nommer, et d’examiner l’art avec lequel chacun d’eux a tourné, selon son génie, la Tragédie d’Euripide : pour moi j’admire également tous les deux ; car, en suivant des routes très différentes, chacun d’eux a réussi parfaitement, et a trouvé moyen d’ajouter des beautés nouvelles à l’original Grec : cet examen et les remarques qu’il ferait naître fourniraient aisément matière à une dissertation très curieuse, et surtout utile pour les Poètes ; mais je reviens à mon sujet.
Observons ici, que les Poètes à qui nous devons la Parodie, ou la Satire, car c’est la même chose, ont eu la gloire de faire mourir de désespoir quelques-uns de ceux aux dépens desquels s’égayait leur plume mordante : honneur insigne, qui prouve la beauté du genre dont je parle. […] Quelle gloire peuvent se flatter d’acquérir ses Poètes ? […] Que les Poètes qui s’y consacrent font peu d’attention à ce qu’une telle conduite donne lieu de penser ! […] serait-elle établie éxprès pour modérer la vanité d’un Poète qu’on applaudit ; de même que les Romains chargeaient un homme d’injurier les Hèros qu’ils honoraient du triomphe, afin de leur rappeller qu’ils ne devaient point trop se livrer à l’orgueil ?
Ensuite les jeunes gens y introduisirent des railleries en Vers assez mal faits, et accompagnés d'une Danse composée de mouvements assez malhonnêtes, et enfin y employant des Acteurs du Pays, au lieu que l'on avait accoutumé jusque là de les emprunter de l'Etrurie, ils formèrent les Satires avec plus de règle, tant pour la Poésie que pour la Danse, et qui n'étaient que Mimes imparfaits ou bouffonneries, mais avec peu d'art en la composition des Vers », dont ils n'avaient rien appris des Grecs, parmi lesquels Sophron s'était rendu célèbre dès cents ans auparavant, par les Mimes qu'il avait composés pour hommes et pour femmes ; et cette Poésie s'acheva si lentement que durant plus de six-vingts ans, depuis cette institution des Jeux Scéniques, on ne parle d'aucun Poète Romain. Mais enfin Andronicus donna publiquement dans Rome des Fables qu'il jouait lui-même, et dont ces vieilles Satires lui prestèrent le fondement et l'invention ; et je ne vois pas pourquoi l'on a voulu deviner que ce fussent des Tragédies et des Comédies, car il est certain que ce n'en pouvait pas être ; c'étaient des Mimes, ou de petites Fables qu'il mettait en Vers, comme les Fableaux de nos vieux Poètes français, et qu'il dansait lui-même en sautant, chantant et touchant quelque instrument ; comme tous les autres Poètes de son temps, selon mêmes les termes de Tite-Live ; mais j'estime qu'il les fit avec plus d'art, et qu'il se rendit si célèbre qu'il en fut nommé l'Auteur ou le premier. […] Ce qui fait voir qu'il perfectionna seulement ce que les autres avaient commencé, et que ces bouffonneries mêlées de Poésie, de Musique et de Danse, qui firent partie des Jeux Scéniques, étaient demeurés dans une grande rusticité, jusqu'au siècle d'Andronicus, plus excellent que les Versificateurs qui l'avaient précédé, et qui fit ses Mimes sur l'exemple des Poètes Grecs qu'il savait, comme Plaute et Nevius composèrent incontinent après les Poèmes Dramatiques sur le même exemple. […] Mais ce qui ne laisse point de doute en cette opinion est ce que Valère Maxime ajoute que ce Poète s'étant délivré de la peine de chanter « Et cum vocem obtudisset, adhibito pueri et tibinicis concentu, gesticulationem tacitus peregit. » Val.