Nous n’entendons par ce terme, qu’un lieu élevé, où l’Acteur paraît, & où se passe l’action : au lieu que les Anciens y comprenaient toute l’enceinte du lieu commun aux Acteurs & aux Spectateurs. […] C’était un grand espace vide au devant de la Scène, où les Acteurs, venaient jouer la Pièce ; & qui par le moyen des Décorations, représentait une Place publique, un simple carrefour, ou quelqu’endroit champêtre, mais toujours un lieu à découvert ; car toutes les Pièces des Anciens se passaient au dehors, & non dans l’intérieur des maisons, comme la plupart des nôtres.
Les magistrats s’en amusaient beaucoup ; mais, lorsqu’on eût osé les jouer eux-mêmes, ils trouvèrent que la plaisanterie passait les bornes ; ils défendirent ce genre de comédie. […] Ce genre de spectacle se perfectionna peu à peu, et les différents degrés par lesquels il passa produisirent plusieurs sortes de comédies.
Quand on pense que les comédiens passent leur vie toute entière à apprendre en particulier, ou à répéter entre eux, ou à représenter devant les spectateurs, l’image de quelque vice, et qu’ils sont obligés d’exciter en eux des passions vicieuses, on ne peut s’empêcher de reconnaître que la comédie est par sa nature même une école et un exercice du vice, et qu’il est impossible d’allier ce métier avec la pureté de la religion ; que c’est un métier profane et indigne d’un chrétien. […] Je plains beaucoup les auteurs de tant de tragédies pleines d’horreurs, lesquels passent leur vie à faire agir et parler des gens qu’on ne peut écouter ni voir sans souffrir.
Je sais bien qu’un nouvel Auteur peut traiter le même sujet que l’ancien, mais de peur de passer pour plagiaire, il évitera de copier les plus belles scènes et de se servir des plus beaux vers ; il fera peut-être mieux à tout prendre que l’ancien Auteur, qui a traité le même sujet, mais sa pièce aurait été beaucoup meilleure, s’il avait pu sans scrupule et sans rien diminuer de sa réputation se servir de tout ce qu’il a trouvé d’excellent dans l’ancienne pièce ; or pour cela il faudrait qu’il lui fût imposé par un prix proposé de perfectionner telle pièce, alors il ne perdrait rien des beautés de telle pièce de Corneille, de Racine, de Molière et de leurs successeurs, ou s’il se trouvait forcé de perdre quelques-unes de ces beautés, il leur en substituerait de plus grandes et y en ajouterait de nouvelles. […] Je doute que de pareils connaisseurs eussent jamais passé à Corneille l’approbation tacite du duel que l’on trouve dans le Cid.
Il va bien au-de-là : il passe bientôt dans les Spectateurs.