Les Partisans de la Comedie me repliqueront peutêtre, que tous ces spectacles, dont parle ici le Docteur, faisoient partie du culte des faux Dieux ; & que c’étoit assés pour en inspirer de l’horreur aux Chrêtiens, & pour les condamner.
Car comme ceux qui se trouvent dans ces assemblées veulent tenir le haut bout, et précéder les autres, par cet amour de propre excellence dont le cœur humain est empoisonné, et qui fait la principale partie de l’esprit du monde, soit en dansant actuellement, soit pour se placer, soit encore pour prier ou inviter les femmes ou filles à danser ; il se rencontre mille occasions de contestation, dans lesquelles on s’emporte souvent à dire des paroles aigres, offensantes et injurieuses ; on se pique d’honneur ; on entre dans le ressentiment ; on conçoit de la haine et des désirs de vengeance ; on en forme le dessein, et on en vient même aux mains et aux armes.
» Ajoutons à ces autorités celle du troisième Concile de Milan dans la quatrième partie des Actes de l’Eglise de Milan page 485. qui s’exprime en ces termes : « Que le Prédicateur ne cesse de reprendre ces assemblées qui servent d’amorce aux péchés publics, et que les hommes accoutumés au mal comptent pour rien ; qu’il tâche d’en inspirer la plus grande horreur ; qu’il fasse voir combien Dieu y est offensé, combien de maux, de calamités publiques, et de dommages ils attirent sur les Royaumes ; qu’il témoigne en toute occasion combien on doit détester les spectacles, les Comédies, les jeux publics qui tirent leur origine des païens, et qui sont entièrement opposés à l’Evangile et aux règles de la discipline chrétienne ; qu’il représente souvent les châtiments publics que ces désordres attirent sur le peuple chrétien ; et pour fortifier les fidèles dans une doctrine si importante, qu’il emploie l’autorité très respectable des Pères, tels que sont Tertullien, Saint Cyprien, Salvien, Saint Chrysostome.
Mais tant y a, que quelque allégorie que les Anciens en tirent ; ils n’abolissent jamais le sens littéral, et le maintiennent purement et simplement moral : Et nous le devrions bien apprendre, par cette sévère répréhension, que fait l’Apôtre aux Corinthiens1 Cor. 11 bp , entre lesquels s’était seulement glissé une petite partie de cette corruption, dont toutefois il infère incontinent, du déshonneur pour l’un et l’autre sexe ; de la confusion aux œuvres de Dieu, de la contrariété à la Nature même. […] Profaner le nom de Dieu, en tant de sortes, donner tant de scandales, être cause de tant d’inconvénients, qui ont été remarqués1 en partie, et le seront encore ci-après ; n’y a-t-il point de tromperie en tout cela ? […] Cependant j’accorde volontiers à nos contredisants, que les passages, que nous produisons des Pères, qui ont écrit devant qu’il y eut des Empereurs Chrétiens, ne parlent que des Comédies et Tragédies, que jouaient les Païens ; car les Chrétiens étaient bien guéris de cette folie, lors que leurs martyres servaient de spectacles, et de Tragédies aux Tyrans : La persécution cessée en l’Eglise, la corruption y entra ; et de celle, dont nous parlons, demeura quelque reste du Paganisme ; tantôt toléré, tantôt réprimé ; selon que les Princes affectionnaient, ou négligeaient la Réformation, non seulement en cette partie, mais aussi pour le regard des Jeux sanglants des gladiateurs, des factions du Cirque, voir des Bordeaux, dont il restait encore sous Théodose le grand, une extrême turpitude à RomeNiceph. li. 12.c. 22 ct , d’autant plus détestable que c’était sous ombre de justice ; laquelle cet Empereur abolit. […] » Ce sont les propres mots de Salvien Evêque de Marseillelib. 6 cu , qui impute tous les malheurs, qui de son temps accablaient une partie de la France, à telles impuretés, et dissolutions : et tant s’en faut, qu’on l’appelât Docteur de nouveauté, ou fantasque ; que Gennadius, Suidas, Trithemiuscv, et autres, l’appellent le Maître des EvêquesSozom. li. 5 c. 16 cw .
Vous me direz encore que vous n’attribuez point à tout le corps ecclésiastique les sentiments dont vous parlez ; mais vous les attribuez à plusieurs, et plusieurs dans un petit nombre sont toujours une si grande partie que le tout doit s’en ressentir. […] Si un Docteur venait m’ordonner de la part de Dieu de croire que la partie est plus grande que le tout, que pourrais-je penser en moi-même, sinon que cet homme vient m’ordonner d’être fou ? […] Un de leurs plus fréquents amusements est de chanter avec leurs femmes et leurs enfants les psaumes à quatre parties ; et l’on est tout étonné d’entendre sortir de ces cabanes champêtres, l’harmonie forte et mâle de Goudimel, depuis si longtemps oubliée de nos savants Artistes. […] L’exercice des armes qui nous rassemble tous les printemps, les divers prix qu’on tire une partie de l’année, les fêtes militaires que ces prix occasionnent, le goût de la chasse commun à tous les Genevois, réunissant fréquemment les hommes, leur donnaient occasion de former entre eux des sociétés de table, des parties de campagne, et enfin des liaisons d’amitié ; mais ces assemblées n’ayant pour objet que le plaisir et la joie ne se formaient guère qu’au cabaret. […] Une partie de ces choses nous manquera toujours, et nous devons trembler d’acquérir l’autre.