grand Docteur exhorte les Chrétiens à ne pas aller à la Comédie ; parce, dit-il, qu’elles sont capables de souiller la pureté de leurs âmes ; et que cette parole de l’Ecriture s’accomplit d’ordinaire dans ceux qui y vont : « la mort entre par les fenêtres » ; c’est-à-dire, le péché entre dans leurs âmes, par leurs yeux et par leurs oreilles. […] Il ne faut point juger du péril qu’il y a en général d’aller à la Comédie, par les dispositions toutes singulières qui se peuvent trouver dans un très petit nombre de personnes ; mais par la multitude de ceux à qui l’expérience a fait connaître qu’on ne peut aller à ces assemblées du grand et du beau monde, sans un extrême danger de la pureté, de la piété et du salut ; et par conséquent sans crime, car je veux que la pièce soit si innocente, si modeste et si honnête, qu’on la pourra avoir et entendre sans que la pureté des yeux, des oreilles et de l’esprit en ressente aucune maligne impression (quoique cela soit très difficile dans la pratique) ce sera la pompe du siècle, l’empressement pour la satisfaction des sens et pour les plaisirs ; l’ardeur pour se remplir l’esprit et le cœur de l’estime et de l’amour de ce que le monde a de plus charmant et de plus propre à faire oublier Dieu et l’éternité, qui feront tout le mal, dit le P.
Au lieu de travailler à guérir les plaies qu’ils ont faites à l’ame, & à la délivrer de la dépendance où elle est à leur égard, on fortifie les liens qui l’asservissent, on les multiplie, & on la contraint en quelque sorte à être toute dans les yeux & dans les oreilles. […] Cessez d’aller repaître vos yeux des agrémens affectés, & du pompeux ajustement de quelques femmes licencieuses, & de prêter l’oreille à la voix & aux récits passionnés de ces Sirenes dont parle Isaïe, qui habitent les temples de la volupté…. […] Que la piété solide & éclairée paroisse avec éclat sous le Diadême, & le flatteur se taira ; la vérité s’approchera avec confiance de l’oreille du Prince ; notre Nation recouvrera ce caractere de franchise & de loyauté qui acheve de se perdre avec nos mœurs. […] Ils ne portent aux yeux, aux oreilles & à l’esprit que l’image & le sentiment de la volupté qu’ils respirent. […] On la fait pénétrer par les yeux & par les oreilles jusque dans le fond de l’ame.
Si l’on m’objecte que dans la farce il y a des mots un peu libres, et de mauvaise édification qui fait que l’on condamne la Comédie, je réponds que c’est être ignorant Logicien, en ce que l’une n’est pas de l’essence de l’autre, et qu’étant deux actions différentes et séparées elles n’ont aucune analogie entre elles, et que tel aimera l’une, qui haïra l’autre, outre que s’il se dit quelques rencontres ou pointes d’esprit qui soient facétieuses, les termes en sont ambigus, et n’ont aucun sens qui puisse blesser les chastes oreilles ; Ce n’est pas que je ne souhaitasse qu’elle fût abolie, pour le peu de satisfaction que les honnêtes gens y reçoivent, cela obligerait au moins la plupart de nos Prédicateurs et les Ministres de ne quitter pas si souvent le texte de leur Evangile, pour nous étourdir la tête de telles matières, et parler avec plus de modération de la Comédie, et de ceux qui y assistent.
Qu’il soit convaincu qu’appeler la Comédie moins une Ecole du vice que de la vertu ; c’est une proposition téméraire, scandaleuse et qui blesse les oreilles pieuses : Qu’il a insulté aux saints Décrets en déclarant que les Comédiens pouvaient en sûreté de conscience jouer tous les jours sans excepter les plus solennels, pourvu que quelques personnes voulussent avoir le plaisir de la Comédie.
Malgré la liberté qui regne dans les Opéra-comiques, ils sont moins dangereux que les drames dont l’intrigue & le dénouement ne sont pas d’un trop bon exemple, on s’y porte pourtant en foule, & nos prudes n’ont ni assez d’yeux, ni assez d’oreilles pour Isabelle & Gertrude.