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106. (1762) Lettres historiques et critiques sur les spectacles, adressées à Mlle Clairon « Lettres sur les Spectacles à Mademoiselle Clairon. — LETTRE VIII. » pp. 131-157

Dans la supposition que le Théâtre ne seroit pas dédié aux simulacres des faux-Dieux, infecté des cérémonies de la superstition, les fidéles devroient en détourner les yeux : quand même le crime ne s’y produiroit pas avec effronterie, on y remarque une sorte de vanité qui n’est nullement permise aux Chrétiens. […] Jerôme3 s’accomplit l’oracle du Prophéte Jeremie4, la mort entre par les fenêtres, qui sont les yeux & les oreilles. […] Saint Isidore de Seville qui vivoit au VII. siécle, appelle le Théatre un lieu de prostitution, les Historiens sont, dit-il1, ainsi nommés, parce qu’ils racontent des événemens comme les Historiens ; mais ce sont des faits qu’on devroit passer sous silence : ils mettent sous les yeux du peuple2 toute la conduite d’un scélerat illustre, en la décorant des Vers plaintifs de la Tragédie. […] Seneque pensoit tout différemment touchant les Spectacles de Rome, l’affoiblissement de la République vient de-là, ainsi que du luxe : ils ont porté la corruption dans l’ame, en séduisant les yeux & flattant agréablement les oreilles1.

107. (1698) Théologie du cœur et de l’esprit « Théologie du cœur et de l’esprit » pp. 252-267

Au lieu de délivrer l’ame de la dépendance où elle est à leur égard, on multiplie ses liens par les Comedies & les Romans ; & on la contraint d’être toute dans les yeux & dans les oreilles. […] Elles excitent en nous des mouvemens semblables à ceux qui tombent sous nos yeux ; & c’est-là le but des Acteurs : car la fin qu’ils se proposent, c’est de plaire à ceux qui les écoutent ; & pour leur plaire ils exposent des sentimens qui s’accordent avec la corruption de ceux à qui ils parlent : & comme ils parlent à des gens dont la plupart ont l’esprit perverti, & le cœur gâté, ils leur representent des emportemens violens, ou de vengeance, ou de jalousie, ou d’ambition : ils joignent à cela de pernicieuses maximes, capables de corrompre les ames les plus innocentes. […] Que trouve-t-on dans les Romans, & que nous remet-on devant les yeux dans les Comedies, que d’autres passions embellies de même, & dont les images nous plaisent ? […] Un autre effet de cette même lumiére de la grace, est de nous ouvrir les yeux sur la grandeur & la solidité des biens du Ciel.

108. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique —  CHAPITRE XI. Les Grecs ont-ils porté plus loin que nous la perfection de la Tragédie ? » pp. 316-335

Il est certain qu’on ne doit point lire avec une entiere confiance les Traités sur la Poësie Dramatique faits par des Auteurs de Piéces de Théâtre, comme ceux de Dryden, de Gravina, & de quelques-uns de nos Poëtes ; ils ont eu en les écrivant leurs Piéces devant les yeux, plus souvent que les vrais Principes de leur Art, & n’ont écrit leurs Reflexions que pour justifier leurs fautes. […] Œdippe paroissoit sur le même Théâtre, couvert du sang qu’il venoit de répandre en se crevant les yeux, & étendant les bras pour toucher ses enfans. […] Quel Poëte oseroit faire revenir Œdippe sur notre Théâtre après qu’il s’est crevé les yeux, comme il revenoit sur celui d’Athénes, couvert de sang, ayant sur les yeux un voile ensanglanté, étendant ses mains tremblantes pour chercher ses Enfans, & poussant de grands cris ?

109. (1751) Nouvelles observations pp. 393-429

C’est que, dans cette entreprise, un Ecrivain se trouve d’abord arrêté par des obstacles qui mortifient son amour-propre ; car, d’un côté, des personnes pieuses regardent comme un crime, la seule proposition de faire absoudre les Comédiens par l’Eglise ; & de l’autre, les trois quarts des Spectateurs traitent de ridicule, le soin que l’on prend de justifier leur plaisir : de façon que cette défense est, aux yeux des Dévots, un attentat ; & aux yeux des Gens du monde, un pédantisme. […] 1 Au fameux Théâtre d’Antioche, qui, dans sa vaste enceinte, comprenoit un Jardin & une partie de la Fontaine de Daphné, des Femmes qui faisoient les Rolles de Nayades, pendant la représentation de la Piéce, nageoient nues aux yeux des Spectateurs. […] Etoit-il supportable, même aux yeux des Philosophes Payens, que sur la fin de l’Empire, les Théâtres fussent bâtis plus superbement que les Temples, & que les Jeux du Cirque fussent plus brillans que les Cérémonies Religieuses ? […] Jettons donc à présent les yeux sur la disgrace des Comédiens, même chez les Payens. […] On convient que ce n’est point aux Ecclésiastiques à se rendre ouvertement les défenseurs d’un Spectacle qu’ils ne fréquentent pas, qu’ils voyent condamné dans la plupart des Livres qui se présentent à leurs yeux, & dont ils devroient même blâmer le trop grand usage, en le regardant comme un plaisir permis.

110. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « CHAPITRE V. Des Jésuites. » pp. 108-127

Ceux qui par leurs règles font profession d'enseigner qu’en matière de pureté il n'y a point de faute légère, ont-ils pu tendre tant de pièges aux yeux, aux oreilles, aux cœurs, et se dissimuler que leurs exercices dramatiques ouvraient sous les pieds de leurs disciples l'affreux abîme du théâtre ? […] C'est la fureur même des spectacles qui jette un voile si épais sur les yeux les plus perçants. […] Ce moyen de s'avancer s'est tourné contre eux, l'estime et la confiance qu'ils méritaient, s'est affaiblie ; la religion et les mœurs ont perdu à vue d'œil par le théâtre, et ne se rétabliront pas tandis qu'il subsistera. […] Qu'on juge par là s'il est difficile de rendre la tragédie innocente, et si les maîtres de la morale évangélique ont prononcé avec raison, que le théâtre le plus épuré aux yeux du monde, sera toujours incompatible avec la vraie piété, et ne servira jamais qu'à réveiller des passions d'autant plus dangereuses, que nous en portons le germe dans la corruption du cœur. […] L'Athalie et l'Esther de Racine justifieront toujours les essais de ce genre aux yeux des personnes sages et modérées.

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