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74. (1781) Réflexions sur les dangers des spectacles pp. 364-386

Leurs sens sont tellement occupés des objets qui y ont laissé une impression neuve et profonde ; leur imagination y est tellement absorbée, que vous ne leur entendrez pas dire un mot, pas fixer un œil sur ce qui pourroit les distraire : les caractères les plus gais, les plus actifs à jouir des plaisirs innocens, sont d’une insensibilité repoussante et ne savent plus que méditer…. […] Le célèbre Montaigne occupé à montrer l’existence d’un germe de méchanceté et de malfaisance dans le cœur de l’homme, un fond de cruauté et de barbarie, cite en preuve l’empressement de la multitude à contempler les supplices horribles et dégoûtans que la justice décerne contre les malheureux, coupables de mort…. […] Mais que dans l’essor de la première jeunesse, dans la crise du développement des qualités qui font le Chrétien et le citoyen, un enfant soit arraché à ses foyers paternels pour passer sous la puissance d’une troupe errante, pour faire avec le sacrifice de sa patrie celui de ses mœurs et de son honneur ; c’est un vol réel fait à l’Etat, c’est un crime de lèse-société humaine, aussi odieux en lui-même, qu’effrayant pour la contagion de l’exemple… Si dans une république où l’esprit d’intérêt étouffe les sentimens de la nature, où l’on vend et achète les hommes comme les ballots de toiles d’Inde, où la valeur n’est comptée pour rien, où le plus actif guerrier est moins considéré que le banquier le plus indolent, la législation ne s’occupe point d’un abus de cette espèce, c’est dans la nature même de son gouvernement et dans le génie de ses peuples, qu’elle trouvera les raisons de son indifférence. […] Il en est d’un genre différent, dont les chefs du gouvernement doivent s’occuper comme d’une affaire qui leur est particulière, et d’autant plus digne de leurs regards, qu’elle regarde la destinée générale des empires. […] Un philosophe à tête exaltée, a fait un livre sur l’an 2440, et s’est beaucoup occupé de l’état des hommes à cette époque ; mais je crois qu’il est raisonnable de demander si à cette époque il y aura encore des hommes.

75. (1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre onzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre V. Du Luxe des coëffures. » pp. 115-142

Chacun trouve à s’occuper, & à s’enrichir ; car il y a 1200 Coëffeurs de femmes à Paris, & au moins autant de Coëffeuses. […] Les Dames Indiennes n’ont pas cette variété, qui occupe une infinité de Coëffeuses à Paris, & dans les Provinces, mais elles l’emportent pour l’arrangement des cheveux, les Françoises seront bientôt de pair avec le sérail d’Agra & de d’Eli, & même elles enchériront sur toute l’Inde, à la faveur des leçons du sieur le Gros, célébre & immortel Coëffeur des Dames ; il vient de donner un grand Traité de son art, que l’Académie des Sciences joindra aux Traités des arts & métiers, qu’elle donne à ce Traité de la coëffure des Dames, il vient de joindre un beau Supplément, car c’est un art infini, qui jamais ne sera parfait, ne fût-ce qu’un Dictionnaire des termes de toilette. […] Quatre heures après l’enrégistrement fait au Parlement, toutes ces charges furent levées aux parties casuelles ; chaque maître a bien cinq ou six garçons, ce qui fait six à sept cent personnes de plus, occupés à la Coëffure. Julien l’Apostat montant sur le trône, trouva trois mille Barbiers, occupés dans le Palais au service de la Cour, qu’il réduisit à une trentaine. […] Ce récit du livre des Rois renferme bien de difficultés, dont les interprêtes s’occupent ; étoit-ce tous les ans, comme dit la vulgate, qu’on les coupoit, ou selon d’autres versions tous les mois, ou de tems en tems, selon le besoin ?

76. (1767) Réflexions sur le théâtre, vol 6 « Réflexions sur le théâtre, vol 6 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SIXIÈME. — CHAPITRE II. Théatres de Société. » pp. 30-56

S’il n’eût exposé que ceux qu’on voit tous les jours sur le théatre public, le sien n’eût plus été un théatre de société, c’est-à-dire qu’il est plus permis d’être sans mœurs dans la société que sur le théatre public, & pourvu qu’on répande une gaze légère qui les couvre, on peut s’occuper des objets les plus infames. […] Dans les petits hôtels un théatre à demeure est incommode, il occupe un appartement ; il sera bien plus agréable d’avoir un théatre dans une armoire, qu’on montera & démontera, selon le besoin. […] C’est toujours s’en occuper, & que veut la concupiscence, que se repaître de l’objet de la volupté sous quelque face qu’il se présente ? […] Tout ce que les arts ont de plus exquis, de plus gracieux, de plus riant, ils l’ont réuni dans le château de Madame de N.…, Le théatre, qu’on n’a eu garde d’y négliger, a été occupé par l’Amour Architecte, ballet charmant, aussi joli que bien imaginé (c’est en effet l’amour qui est l’Architecte de tous les théatres). […] Aujourd’hui ces barrieres ne subsistent plus, aucun Evêque ne s’occupe du théatre, tous les Princes y sont assidus, toutes les maisons riches ont des théatres de société, les grands, les femmes y jouent, la magistrature, la police s’y rendent journellement, & pourvu qu’on n’interrompe pas les Acteurs, & qu’on n’insulte personne, ils ne s’embarrassent de rien.

77. (1822) De l’influence des théâtres « [De l’influence des théâtres] » pp. 1-30

Des funambules, qui se permettaient de joindre à leurs exercices des scènes extraites des ouvrages courus, affublées d’un grand titre, vinrent s’installer sur le terrain occupé aujourd’hui par le château d’eau. […] Avant l’introduction des productions étrangères sur la scène Française, un assassinat, un rapt, un suicide, quinze jours occupaient tout Paris…. […] Levez-vous de bonne heure, allez assister au lever du soleil, en dirigeant votre promenade le long de ces boulevards qui bordent les murs de Paris ; chaque groupe d’hommes que vous verrez sortir des barrières, au nombre de quatre ou de six, redingotes croisées, l’air occupé, marchant deux à deux, et cherchant à éviter tous regards indiscrets, affaires d’honneur ! […] L’esprit occupé de ce mont, que la fiction des poètes du premier âge a consacré au génie de tous les temps, je repassais dans ma mémoire tous les grands hommes que la reconnaissance des siècles a placés sur la double colline. […] L’ plaisir est une marchandise qu’on doit mettre à la portée d’ tout l’ monde ; Montrouge et les Gobelins viennent ici, jouir à peu d’ frais, d’ tout c’ que Paris a d’ mieux. » En effet, je lus trois titres favoris des Variétés, du Vaudeville et du Gymnase ; un sourire de satisfaction m’instruisit du motif du curieux empressement de la petite bonne, et le nom d’un certain acteur que je nommai et qui la fit rougir en passant, me confirma que la jeune personne ne s’était pas seulement occupée de la garde des enfants confiés à ses soins, et que les coulisses du Montparnasse recelaient son heureux vainqueur.

78. (1783) La vraie philosophie « La vraie philosophie » pp. 229-251

Les parens sont pour l’ordinaire plus occupés de l’apparence de l’extérieur que du fonds & de l’essentiel de l’éducation de leurs enfans. […] Comme on ne représente sur les théatres que des galanteries, des aventures romanesques & licentieuses, les femmes sont flattées des adorations qu’on y rend à leur sexe ; elles s’habituent à être traitées en Nymphes ; de là le dédain qu’elles ont de s’occuper du soin de leur ménage ; elles abandonnent au peuple ces connoissances de détail réservées aux meres de famille, & elles préferent d’exercer tous les talens séducteurs qui ne conviennent point à une femme honnête. […] Nos coureurs de spectacles amollis par ces charmes apparens, ne sont occupés qu’à y rencontrer leurs dulcinées, ou qu’à en choisir une à qui ils puissent dire avec succès : vous êtes la seule qui me plaisez. […] Madame Anne-Henriette de France disoit un jour à une personne qu’elle honoroit de sa confiance, qu’elle ne concevoit pas comment ou pouvoit goûter quelque plaisir aux représentations du Théatre, que pour elle c’étoit un vrai supplice : la personne à qui elle parloit ainsi, marqua de l’étonnement, & prit la liberté de lui en demander la raison ; je vous avoue (lui répondit cette excellente Princesse) que quelque gaie que je sois en allant à la Comédie, si-tôt que je vois les premiers acteurs paroître sur la scene, je tombe dans la plus profonde tristesse : voilà, me dis-je à moi-même, des hommes qui se damnent de propos délibéré pour me divertir ; cette réflexion m’occupe & m’absorbe toute entiere pendant le spectacle, quel plaisir pourrai-je goûter ?

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