Si ce même Auteur ajoute : « Que les larmes, que les fléxions touchantes fournissent au sentiment, sont encore plus puissantes que celles qu’il emprunte des expressions les plus énergiques. » Il n’a pas fait atention que les inflexions touchantes font dans l’esprit des expressions énergiques, qu’elles en fortent comme de leur source naturelle ; enfin, qu’elle ne touchent que parce qu’elles sont des plus énergiques.
Sur-tout cette fatale passion de l’amour, qui regne sur le théatre, cette passion si naturelle, si commune, si violente ; quel désordre ne cause-t-elle pas, lorsqu’armée des attraits & de la parure des actrices, de la licence des discours & des gestes, d’une danse voluptueuse, des chants efféminés d’une société libertine, elle livrera les plus dangereux assauts ?
Quoi, mes Dames, mettre cinq ou six heures de tems a se parer & à se peindre le visage, pour aller ensuite dans une assemblée tendre des pieges à la chasteté des hommes, & servir de flambeau au demon, pour allumer par tout le feu de l’impudicité, demeurer les nuits entieres exposées au yeux & à la cajollerie des jeunes fous, & de tout ce qu’il y a de libertins dans une ville, emploïer tout ce que l’art & la nature ont de plus dangereux pour attirer leurs regars, & pour leur renverser l’esprit, deguiser vos personnes & vôtre sexe, pour n’avoir plus honte de rien, & pour ôter à la grace ce petit secours, qu’elle trouve dans la pudeur, qui vous est si naturelle.
« Le Poème Dramatique est une imitation, ou, pour en mieux parler, un portrait des actions des hommes ; & il est hors de doute que les portraits sont d’autant plus éxcellens qu’ils ressemblent mieux à l’original. » Ces paroles du grand Corneille prouvent que nous avons raison d’être charmés de la peinture qu’on nous à fait du Maréchal-Ferrant, du Savetier, & d’autres gens pareils ; elles engagent encore les Poètes du nouveau Spectacle à continuer d’être vrais & naturels.
Cependant, puisque le plaisir est l’objet naturel & primitif des Spectacles, sitost qu’on s’aperçoit que l’on ne plaist plus, il faut que le Poëte face iudicieusement sa retraite, qu’il se resolve de bonne foy à quitter une Place qu’il ne peut tenir, & qu’à l’exemple d’un Ancien, il cesse par raison, sans attendre de s’y voir forcé par sa foiblesseMaluit desinere quam deficere.