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15. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique —  RECAPITULATION. » pp. 382-390

Il est très-bon, comme je l’ai dit, d’exciter en nous la Pitié, & d’entretenir cette sensibilité que la Nature nous a donnée pour les malheurs de nos semblables ; mais les Poëtes Tragiques plus empressés d’amuser que d’instruire, pour exciter dans les Spectateurs une violente émotion, faisoient retentir les plaintes de malheureux qui s’abandonnant à la plus vive douleur, loin d’apprendre à supporter les maux de la vie, & les injustices avec patience, étoient les modeles de toute l’impatience d’une Nature irritée, & qui demande vengeance. […] Ce Tableau est celui de la Nature. Mais cette Nature est-elle admirable ?

16. (1738) Sentimens de Monseigneur Jean Joseph Languet Evéque de Soissons, et de quelques autres Savans et Pieux Ecrivains de la Compagnie de Jesus, sur le faux bonheur et la vanité des plaisirs mondains. Premiere partie « Sentimens de quelques ecrivains De la Compagnie de Jesus, Touchant les Bals & Comedies. Premiere Partie. — Entretien cinquieme. Le danger de la Comedie en particulier, decouvert par le R. P. F. Guilloré de la Compagnie de Jesus. » pp. 67-79

Ce seroit, ou ne pas sçavoir la force de ces objets, ou ignorer la foiblesse de nôtre nature, ou se faire une vertu chimerique, ou, par une vaine présomption, vouloir trouver sa seureté au milieu des écueils. C’est une principe universellement receu de l’Ecole, que, quand quelque chose de sa nature porte au peché, l’on ne peut pas en user librement, sans pecher ; cela parle de soy, sans autre preuve, à un esprit, qui a seulement un petit rayon d’intelligence : Remontez maintenant à ce que je viens de dire de la comedie, dont toutes les circonstances n’ont rien, qui de soy-même ne donne quelque penchant au peché. Si ce principe donc, que j’ay avancé, est recevable, l’application en étant faite à la comedie, je vous laisse le jugement du peché, qui se peut commettre en y allant, l’effet, qui part d’un principe, tenant toûjours de la nature de son principe. Mais la preuve de ce que je dis se fortifie beaucoup, par la nature de plusieurs pieces de theatre, qui font aujourd’huy le plus agreable divertissement des auditeurs ; car souvent, où elles sont toutes bouffonnes, ou elles peuvent passer pour impies, étant une chose trop connuë, qu’on en a vû, qui tournoient toute la devotion, & la pieté en ridicule. […] Elle, qui sans cela peut-être n’auroit jamais sçeu ce que c’est que du mal, & qui n’en avoit, ny la pensée, ny les idées, le voyant alors si bien dépeint sur le theatre avec toutes les couleurs, de la parole, d’une expression douce, & de la declamation ; Elle, dis-je, commence à sortir de la sainte ignorance, où elle étoit, & ce que la nature ne luy avoit pas encore appris, des Comediens, & des Comediennes le luy apprennent, comme les nouveaux maîtres de son premier mal-heur.

17. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre quatriéme. — Chapitre IX. Du Dialogue. » pp. 320-335

Une autre raison encore, c’est que le Dialogue étant l’image d’une conversation simple, il s’écarterait de sa nature, si l’on le rendait trop guindé ou obscur. […] Il est donc nécessaire que les Poètes s’attachent à le connaître ; ils y parviendront, s’ils étudient avec soin la Nature. […] Il ressemble à ces fleurs artificielles qui ne frappent la vue qu’autant qu’elles ont la couleur & l’éclat des fleurs qu’elles représentent ; c’est l’ouvrage de l’art le plus recherché qui prend la forme & les traits de la Nature même. […] Les Grecs n’outrèrent jamais la Nature : ils eurent le secret d’en saisir la simplicité, à force de la suivre pas-à-pas : c’est d’elle qu’ils tirèrent les principales beautés de leurs Poèmes épiques, & des Pièces de leurs Théâtres. […] Les Poètes de ce dernier genre s’écartent presque toujours de la Nature, parce qu’ils sont trop longs, trop raisonneurs, à l’éxemple de Corneille.

18. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique —  CHAPITRE XII. De la Déclamation Théatrale des Anciens. » pp. 336-381

Il dit encore que la Nature donne à chaque Passion son visage, son ton, & son geste, omnis motus animi suum quemdam à naturâ habet vultum, & sonum & gestum. […] Nous ne pouvons séparer ce que la Nature a uni. […] Rien n’est si naturel, sans doute : mais rien n’est si difficile à l’Art que de bien imiter la Nature. […] Les Anciens vouloient en tout l’imitation de la Nature ; & c’étoit pour rapprocher du ton de la Nature le stile de la Tragédie, qu’ils avoient choisi pour ce dialogue le Vers Iambe. Auroient-ils voulu que ce Vers eût été chanté, c’est-à-dire mis sur des tons que la Nature n’inspire point, puisque dans les Passions elle ne nous fait jamais chanter ?

19. (1640) Traité des Spectacles des Gentils « SAINCT CYPRIAN DES SPECTACLES. » pp. 155-193

On employe ce qu’il y a de plus inhumain dans la nature, pour arracher du corps humain vn leger soufle de vie. On nourrit auec delicatesse les lyõs, les tygres, & les leopards, pour les rendre plus habiles à déchirer les hommes ; & les cruels maistres qui ont le soin de ces animaux, & qui les dressent pour le plaisir des Spectateurs, les animent au carnage par mille artifices, & taschent de les mettre dans le comble d’inhumanité, qui peut-estre leur auoit esté denié par la nature. […] Nous y sommes naturellement portés plustost qu’au bien ; nous auons vne secrette inclination pour les vices ; & partant que peut faire vne ame qui les prend pour exemples, & qui se conduit par les saillies d’vne nature lubrique & corrompuë ; & si estant foible de soy-mesme, elle glisse aisément ; comment pourra-t’elle s’empescher de choir estant poussée d’ailleurs ? […] Vn Chrestien doit preferer les loüables occupations à l’oysiueté du theatre ; & si les spectacles ont attiré ses inclinations, il y en a de plus beaux dans la nature que ceux de la gentilité, & il aura dans leur entretien les vrays & solides plaisirs. […] Il verra que les Saints personnages, dont la vie a esté tousiours conduitte par la Foy, & par les vrays preceptes de la vertu, n’ont rien trouué d’impossible ; qu’ils ont hardiment combattu l’actiuité des flammes & du feu, & donné des loix à ce fier élement ; qu’ils ont appriuoisé, & adoucy les bestes farouches, les dépoüllants de l’inhumanité dont elles ont esté pourueuës par la nature.

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